Je marche à pas lourds dans l'escalier, descendant une marche après l'autre, un peu comme un zombie. Je ne me sens pas très heureux. En fait, je suis même plutôt triste. Monsieur Gantley m'a embrassé et demandé de retourner dans ma cellule. D'habitude, je lui aurai obéi sans hésiter, mais aujourd'hui il y a quelque chose de différent chez moi. Il est avec son frère, cette personne qui ne mérite pas d'autre chose que la mort et il semble en être content. Je les ai vus s'enfermer dans une chambre, ce qui m'a rappelé la fois où le Guide et moi, on a joué. J'espère vraiment que cette fois, il va le tuer. Ce serait bien fait !

J'arrive à l'étage des détenus et me stoppe, hésitant. Je n'ai pas envie de retourner dans ma cellule, parce que ça veut dire que je vais me faire engueuler par le gardien en poste dans cette section du grand couloir. Je fais demi tour et descend au rez de chaussée. Il y a d'autres gardiens en bas, mais je les évite facilement. Et je me terre dans le placard à balai, silencieusement, dans le noir. Je m’assoies au sol et ramène mes genoux sous mon menton, avant d'enrouler mes bras autour. Je me sens déprimé. J'aimerai juste remonter dans cette chambre et tuer le frère du Guide. Finalement, je m'endort un petit temps.

Je pense m'être assoupi quelques minutes seulement, car il est l'heure pour les prisonniers de sortir se dégourdir les jambes avant le repas du midi. Je passe la tête par l’entrebâillement de la porte du placard et vois des tas et des tas de combinaisons, grises ou bien comme la mienne orange. Je ne me suis pas trompé. Je sors de ma cachette et me pose contre le mur, juste à côté du placard, l'air de rien. Un gardien se tient pas trop loin de moi, il me jette un coup d’œil mauvais. Je reconnais sa cicatrice, à la gorge. Il a morflé pendant la révolte et je sais à qui il doit ça. Je lui souris largement, ce qui ne se voit pas derrière ma muselière, mais pas grave. L'intention est là.

Mes yeux baladeurs se posent sur un grand et large gardien aux cheveux blancs. Je pense aussitôt à Rose. Oui, Rose. Maintenant, elle est ma copine. Alors, on doit avoir un degré d'intimité. J'ai donc décidé de l'appeler Rose. C'est le plus joli je trouve. J'aimerai qu'elle soit là, mais j'ai beau balayer la foule déjà dissipée – beaucoup préfèrent aller en salle de musculation ou dans la cour – je ne la trouve pas. Peut être qu'elle est restée dans sa cellule, ou qu'elle est passée pour aller dehors. Mais je n'ai pas envie de sortir. Il y a du vent qui secoue les branches nues des arbres et j'ai un petit rhume. De temps en temps, j'éternue, ma gorge me gratte, mes yeux me piquent et je me mouche souvent.

Un chien aboie devant la porte ouverte. Mon cœur s'affole et je tourne mon visage dans cette direction. Mais non, ce n'est pas Roméo. Je l'ai vu partir, l'autre jour, avec le docteur. Celui qui parle comme... Ben un peu comme chez moi. Ca m'a rendu très triste de le voir dans cet état, mais au moins, il est vengé. On s'est occupé, avec Rose et le Guide, de punir sa maîtresse. Et c'était super cool.

Ma tête se lève en direction de l'escalier, des étages. Monsieur Gantley, est ce que vous faîtes une grosse bêtise ?

Je suis dans ma cellule et je ne bouge pas. Liam ne m'a pas donné de chose à faire aujourd'hui. Alors j'attends l'ouverture des cellules, pour sortir et retrouver Abel. Je ne l'avais pas vu depuis la mort de cette gardienne au chien. Il me tardait de le revoir. Assise sur mon lit en face de la grille, je ne bougeais pas. Je gardais les yeux dans le vide. Je ne savais pas pourquoi, j'avais un mauvais pressentiment, comme ce jour où Mickaël était mort, une balle dans le crâne. La scène me revenait en boucle. La senteur des sapins, la neige glacée et le vent du nord. La nuit obscure tombant sur la forêt donnant une allure lugubre à l'endroit. Et puis moi, tenant une arme et mon maitre m'ordonnant de tirer. Puis la détonation, et l'odeur du sang se mélangeant à la senteur de la résine. La couleur du rouge sur la neige, et puis les menottes, le tribunal. J'avais tué, et je m'étais fait attrapée.

Je m'inquiète trop. Le marionnettiste n'avait rien prévu aujourd'hui. Il n'allait rien arrivé. Seulement un mauvais jour comme beaucoup d'autre qui mettait arrivé jusque-là. Une journée ou le malheur me hante. Ou mes souvenirs que j'oublie me reviennent. Ses jours où vous voyait tout en noir. Où était Abel ? Je revins à la réalité et un gardien me fixait à travers la grille. Je penche la tête légèrement sur côté et plonge mon regard dans le siens. Il recule choquer. Mon regard est vide, sans aucun sens pour certain et pour d'autres aussi profond que l'on peut s'y perdre. Y perdre peut-être son âme ? Je suis une marionnette, humain. Tu ne m'auras pas comme ça. Il s'enfuit sur la pression de mes yeux, jurant sur mon sort et ma peut-être futur mort prochaine. Je ne compte pas mourir maintenant. Pas temps que la mort ne vient pas à moi. Le juge ne pas promis une exécution, je suis encore libre de m'enfuir. Fuir loin, et trouver un autre maitre encore plus puissant que Liam. Mais existe-t-il quelqu'un d'encore plus puissant ? Je ne pense pas. Liam est large supérieur à bien des hommes, je n'arrive pas encore à discerner ses faiblesses. Peut-être son frère pour m'avoir interdit de le tuer.. Je ne sais pas, mais je n'ai pas à douter de lui. Même Abel l'a choisi.

Lorsque les grilles s'ouvrent, je sors. Je me dirige vers la cours ou beaucoup de détenus son déjà en groupe. Certain m'observe, mais je les ignore. Ils savent tous qu'Abel et moi suivons Liam. Je fais le tour de la cours et ne trouve pas l'instrument d'exécution. Où est-il ? Il est souvent à l'extérieur quand les gardes nous permettent de sortir à l'air libre. Je refais un tour, pour être certaine de ne pas l'avoir vu. Alors que je m'apprêtais à rentrer à l'intérieur le chercher dans les couloirs, je me fais arrêter par une bande de détenus beaucoup plus grand que moi. J'en fixe un, celui qui s'adresse à moi. Où est Liam ? Je ne sais pas. Ce n'est pas lui que je cherche. Alors que je repartais poursuivre ma route, il me saisit par le bras et me ramena vers lui.

"Ce n'est pas bien de rester seule sans défenses.."
"Qui t'a dit que j'étais sans défense ?"

Je lui donnai un violent coup dans son genou, qui craqua. J'étais peut-être plus petit et moins que forte qu'eux. Je savais ou frapper pour faire mal. Je ne suis pas ici pour rien, ne l'oublier pas. Je me dégageai du groupe et rentrer dans le hall donnant accès à pas mal de couloir pour accéder à diverses salles. Alors que je m'avance vers l'une d'elles, je vois Abel, poster contre un mur, le regard fixait sur la cage d'escalier menant au étage supérieur. Notamment celui du personnel. Ma voix claire résonna.

"Abel.."

Lorsqu'il trainait dans les couloirs, il était souvent avec Liam. Et puis ce n'était pas dans son habitude de rester fixé sur un endroit. Il se passait quelque chose de grave ? Je m'approchai de lui sous le regard indigné des gardiens et le pris dans mes bras. Il était là... Celui que je cherchais. Mon Abel, rien qu'à moi. Uniquement à moi.

"Tu m'as manqué... Il se passe quelque chose de grave ?"

Je suis distrait par une voix. Une voix claire, qui résonne dans tout le rez de chaussée. Une voix que je connais bien et qui m'oblige à détacher mon regard de l'escalier. Mon cœur s'emballe un petit peu et mes muscles se détendent, je redresse mon dos. Rose.
Rien que penser son nom, quand je la vois, me donne l'impression d'être dans une forêt pleine d'oiseaux chanteurs. Je les aurais tous caillassés. Mais le reste du tableau m'aurait convenu. Tiens, il y a une forêt, non ? Juste à côté. Je devrais y emmener Rose.

Elle se jette dans mes bras et je la serre à mon tour contre moi, la tête posée sur son épaule. Elle me domine en hauteur mais ça ne me gêne pas. J'ai l'habitude de lever la tête pour regarder à peu près tout le monde. Dans certaines situations, c'est même plutôt pratique.
Notre étreinte finie, elle m'annonce que je lui ai manqué, ce qui me rempli de joie. Je veux lui répondre un truc similaire, mais elle m'en empêche, me demandant si quelque chose ne va pas. Sa façon de le faire me permet d'élargir ma réponse du côté du Guide. Mon regard devient inquiet, je ne sais pas cacher mes sentiments à Rose. Levant légèrement la tête pour la regarder, je marmonne une réponse.

« Monsieur Gantley est tout seul avec son frère. »

Oui, c'est ce qui me tracasse, mais je sais que je ne devrais pas. Il est le Guide, il est tout puissant, rien ne peut lui arriver. Je prends la main de Rose et hausse doucement les épaules.

« C'est sûrement rien. Il va lui foutre une raclée. »

De toute façon, je vois pas bien ce qu'il pourrait faire d'autre avec lui. Dans cette chambre. Encore une fois, je repense à cette fois où le Guide et moi, on a joué. C'était bon, mais il n'a pas été satisfait. C'est ce qu'il m'a dit. Et puis, on a recommencé, un peu, mais différemment. Cette fois là, il n'avait pas dit que c'était nul. Mais il m'avait dit d'autres choses, des choses qui concernent Rose. Je sens que c'est le bon moment. Il y a le placard où se cacher. Personne ne fera attention. Et puis, je suis prêt.

« Je reviens. N'interviens pas. »

Je me dirige vers le plus grand et musclé détenu du couloir et lui tapote la cuisse. Il se tourne vers moi, hésite quelques secondes et baisse la tête. Il paraît surpris de me découvrir là.

« Qu'est ce que tu veux microbe ?
-T'es moche. Je vais te refaire le portrait. »

Je brandis mes poings et fais semblant de vouloir les lui mettre dans la figure. Il rit ouvertement, parce que mes bras sont trop courts.

« C'est comme ça qu'on donne un coup de poing. »

Je le vois venir mais ne cherche pas à esquiver. Les yeux fermés, je hausse même la tête et me prend le coup en plein dans la mâchoire. Je décolle du sol, tourne sur moi même et atterrit face contre terre. C'est encore mieux. Ce mec a servi mes plans au mieux. Le problème, maintenant, c'est de me sortir de cette situation.
Une main puissante me saisit par la combinaison, au niveau des reins, et je suis soulevé plus haut que ma tête quand mes pieds sont au sol. J'agite les jambes et voient tous les gardiens affluer vers nous. Ils veulent calme le grand dadais, qu'ils le fassent. Vite.

Finalement, le détenu est maîtrisé et je profite de la cohue pour rejoindre Rose en catimini. Je la tire par le bras et nous engouffre tous les deux dans le placard. Il fait noir, je colle mon oreille contre la porte et attends que les choses se calment de l'autre côté.

Son regard devient plus inquiet quand il comprit ma question. Il me parle du guide, avec son frère. Seul ? Qu'il le tue ! Je ne veux plus le voir, il est faible, complètement. La colère vient s'intégrer légèrement à mes pensées...son frère..Je le déteste, je veux qu'il meure ! Pourquoi le marionnettiste ne veut pas le tuer ? Pourquoi ! C'est complètement insensé ! Un être aussi faible... Tue le !

La main d'Abel qui rejoignit la mienne fit taire mon état d'esprit meurtrier. Oui, il avait raison. On ne devait pas se soucier de lui, il allait s'en sortir comme toujours. Et peut-être même l'achever..C'était peut-être pour cela qu'il ne voulait pas qu'on le tue. Car il voulait lui-même lui ôter la vie. Oui, il n'y avait que cette solution d'envisageable. Et puis..le maitre n'était pas un faible n'est-ce pas? Il reviendrait surement nous chercher quand il aurait quelque chose d'important à faire et qui demandait notre aide... Nous étions à son service après tout. La présence d'Abel près de moi me calmait. J'étais plus détendu, plus sereine.. Enfin voilà, mieux, malgré le fait que je sois en prison. Mais il faut dire que je m'en accommodais bien même si je préférais vivre à l'extérieur de cette endroit. Libre, de tout.

Il me lâche la main et me demande de ne pas intervenir... Que va-t-il faire ? Mon regard le suit, interpellé. Il s'approche d'un détenu faisant deux fois sa taille, j'exagère peut-être, mais cet homme est immense, plus grand qu'une grande majorité des gardiens. Il finit par l'interpeller. Abel avait beau être puissant, muselé face à un tel humain, il ne tiendrait pas longtemps. Pourquoi n'ai-je pas le loisir d'intervenir ? Ah oui, il m'a donné un ordre. Je dois obéir. Etant trop loin pour saisir la nature de leur échange, je me contente d'observé Abel se prendre un coup et se faire mettre à terre avant d'être soulevé par le détenu..je dirais en colère. Des gardiens affluent vers eux à grande vitesse. Par réflexe, je me rapproche du mur, évitant d'attirer l'attention de certains gardes.

Quelques secondes après, Abel revient vers moi et me tire par le bras dans la petite pièce d'à côté. À l'intérieur, il fait sombre. Même complètement noir. Une fine lumière s'infiltre quand même par le bas de la porte au sol. Le brouhaha venant de dehors semble se calmer, du moins s'éloigner. Je ramène mes genoux contre moi et attends. Le son s'éloigne de plus en plus. Seule la respiration sifflante d'Abel à travers la muselière se fait entendre distinctement. Je réalise alors qu'il s'est pris un coup bien placé dans la mâchoire. Cet idiot s'est encore fait mal. Je l'attrape par la combinaison et le ramène vers moi.

"Tu t'es encore blessé.."

Ma voix n'était qu'un murmure perdu dans le silence. Ma main attrape le bas de son visage pour lui retirer ce qui lui bloque la mâchoire. Avec ce coup, elle est totalement fragilisée. Je commence donc à retirer la partie en plastique quand des éclats de voix et des bruits de pas presser venus de l'extérieur m'interpellent.

Rose me sermonne. Elle me reproche de m'être une nouvelle fois blessé. Ou fait blesser. Je baisse la tête avec un léger sourire qu'elle ne peut pas voir. Elle a raison, presque à chaque fois qu'on se voit, seuls, je suis dans un état pas possible. En fait, toutes les fois où on s'est vus seuls, parce que je mets du temps à guérir, comme tout le monde. La dernière fois, j'avais encore les marques de la révolte. Et maintenant que je suis de nouveau présentable, voilà que je me jette sous le poing d'un mec. Ouais mais c'est la prison voilà. Le prix à payer pour pouvoir embrasser ma petite amie. L'amour, ça fait mal, non ?

Nous sommes tous les deux au sol, moi à genoux, elle assise contre le mur. Je sens ses doigts sur mon visage. Ils sont petits, fins, frais, agiles. J'aime ses doigts. Rose retire morceau par morceau la cage en plastique de ma muselière. Mais des bruits violents à l'extérieur l'arrêtent. Pourquoi ? Pourquoi se soucier autant des autres ? Nous sommes tous les deux. C'est tout ce qui compte. Le reste du monde peut bien s'écrouler, ce placard et son contenu survivra, avec nous dedans.
Pour lui faire plaisir, je m'avance à quatre pattes jusqu'à la porte et tend le bras en l'air pour actionner la poignée. Je jette un discret coup d’œil à l'extérieur. Une bagarre a éclaté, sans doute à cause de moi. Je souris. Quelque part, tant mieux. Ca fera le ménage.
Je referme la porte du placard et me réinstalle face à Rose. Je retire ce qui reste de ma muselière, je n'ai qu'à faire passer les sangles de cuir par dessus ma tête, puisqu'elles ne retiennent plus rien.

Mon visage libre, je renverse la tête en arrière et inspire un grand bol d'air. Je suis surpris de recevoir une odeur de détergeant et de métal. Je respire un peu plus et fais des bulles avec une de mes narines. Je baisse la tête et porte ma main à mon nez. Je saigne d'un côté. Oh, ce type m'a fait plus de mal que ce que je croyais. Pas grave. Je m'essuie avec ma manche, je n'ai pas mal et je suis sûr que le saignement c'est déjà arrêté.
Je m'installe à côté de Rose, dans une position similaire à la sienne. Dehors, les bruits de lutte se sont éteints, sur quelques cris impérieux de gardiens. Un silence s'installe entre nous deux. Je souris bêtement à cause de ce que j'ai en tête. Mais je ne sais pas comment commencer. Avec Monsieur Gantley c'est facile, il est toujours en train de me toucher et de me donner envie. Mais avec Rose, c'est différent. J'ai envie sans qu'elle me touche, sans même qu'elle soit à côté de moi.
Je saisis sa main et la serre doucement. Que m'a dit le Guide déjà ? Ah oui, elle doit le vouloir aussi. Je dois être sûr qu'elle le veuille aussi.

« Je peux t'embrasser ? »

On l'a déjà fait, alors je suis plutôt sûr de moi. Elle va sûrement accepter. Sauf si elle est dans un mauvais jour. Et puis, elle m'a grondé il y a une minute. Ca lui a peut être passé l'envie de m'embrasser. J'en serai vraiment triste, mais ça ne serait pas si grave.