feat. Ombrage Sadwood


Ca me travaillait depuis déjà trop longtemps. Pourquoi ne l'avais je pas fait avant ? Je m'étais donné des tas d'excuses, de moins en moins crédibles. D'abord, j'avais eu besoin de repos, pour remettre mes idées en place après la tentative d'évasion de L1233. Ensuite, j'avais voulu laisser un temps de confort à Sadwood, pour la prendre par surprise si jamais elle s'attendait à un interrogatoire. Puis j'avais été trop occupé, avec l'arrivée du nouveau chef des gardiens, les histoires au sous sol, la bataille avec mon fils aîné... Pour finir, j'avais oublié cette histoire. Ou du moins, j'avais tenté de m'en convaincre. Au fond, je repoussais juste l'échéance. Pourquoi ? Parce que j'aimais bien Sadwood, elle m'avait fait une bonne impression, et je n'avais pas du tout envie de lui causer des problèmes. Ca ne me ressemblait pas de me voiler la face de la sorte. Un jour, au SWAT, j'avais dû dénoncer l'un de mes plus proches amis et je...

« Papa, tes céréales vont devenir tout mous ! »

Je levai la tête de ma cuillère remplie de lait et d'anneaux au miel, pour poser mon regard sur Karen. Ma fille était en pantalon de pyjama fleuri et débardeur en coton rose vif. Ses longs cheveux châtains étaient noués en une queue de cheval haute. Je savais qu'elle dormait comme sa nouvelle idole de Disney Channel. Les ados... Mais c'était normal, aussi je tolérais que la reproduction de la Vierge Marie côtoie les One Direction sur le mur de sa chambre.

« T'as raison, ma chérie, papa est un peu préoccupé par le travail en ce moment. »

Karen engloutit une énorme cuillerée de céréales multicolores avant de me demander sur un ton intéressé :

« Qu'est-che qui che pache ? Ton nouveau cheff est méchant ? Il a l'air plutôt chympa pouftant. »

Je la vis rougir légèrement et souris en coin. Je ne me faisais pas de souci pour ce genre de réaction. Karen était une adolescente parfaitement normale, qui craquait un tout petit peu sur notre voisin au physique agréable. Je savais que dans la réalité, elle sortirait avec quelqu'un de son âge, une fois à la fac.

« Non, c'est pas lui. C'est... Compliqué. Je n'ai pas vraiment le droit d'en parler. C'est... Top secret. »

Karen hocha la tête d'un air entendu et poursuivit son petit déjeuner, alors que j'allais jeter le mien dans le broyeur. Mon estomac était trop serré pour que j'arrive à avaler mes Cherrios.


Lorsque j'arrivais dans la salle de repos des gardiens, j'étais en train de réfléchir à un moyen d'avoir un entretien, seule à seul, avec Sadwood, sans éveiller de soupçons chez elle. Mais lorsque je poussai la porte, je fus désagréablement surpris de constater qu'elle était là. Juste elle. Et moi maintenant. Je laissai la porte claquer dans mon dos avant de faire un pas dans la pièce. Incarnation de l'innocence, j'allai me prendre un café, histoire de réfléchir à une accroche pas trop mal. Finalement, lorsque j'eus avalé la moitié de mon gobelet, je dus me rendre à l'évidence : il n'y avait pas de bonne façon de faire ça. Je devais juste foncer dans le tas et voir ce qui se passerait.

« Hum ! Sadwood, tu permets qu'on cause, tous les deux ? J'ai un truc important à te demander. »

Le malaise devait se voir sur mon visage, transpirant par tous mes pores. Mon cœur était à la fois serré et battait la chamade, j'ignorais que c'était une chose possible. Je m'efforçai de garder mon sérieux, debout à côté de la machine à café, attendant qu'elle me rejoigne, ou même me réponde juste. Bordel, est ce que j'allais vraiment accuser une collègue d'avoir fourni un détenu ? Est ce que je n'aurai pas mieux fait d'en parler au chef Feilong ? Non, non... Je devais lui laisser une chance.

Travaillé de nuit, et ensuite, ne pas réussir à dormir. J'étais seule dans la salle des gardiens, seule dans ma tête aussi. Certains surveillants passés, mais ne restait pas plus de quelques minutes, ne comblant que lors de ces quelques seconde la solitude physique m'entourant. La solitude mentale, elle, ne s'éloigne pas.
Puis-je en parler à quelqu'un ? Non. Je ne peux me confier à personne. Même pas à keila. Keila... Suis-je vraiment avec elle ? Mes sentiments ne sont-ils pas faux ? Seulement là pour combler l'amertume d'éprouver le peu d'émotions dont je suis capable envers le seul détenu de cette prison incapable d'aimer. Serait-ce ma véritable pénitence ? Une pénitence divine ? Et pourtant...Je ne crois pas en dieu. Et s'il existait, était-il vraiment juste ? Une part de bonheur et une part de malheur équitable à chaque être ? Laissez-moi rire...J'ai fait plus que ma part..Et la joie de la vie n'a été qu'un souffle brulant ma peau, m'ignorant copieusement passant à la personne suivante, sans se retourner vers moi.

Mon regard fixe cette table abimée, il est vide. Non, pas vide. Triste, indécis, torturé. Comme moi. Des cernes ont dû se former sous mes yeux. Vraiment, de quoi ai-je l'air ? Je me laisse dépérir, pourquoi ? Pour au final rester complètement passive face à la situation. Spectatrice d'évènement que j'ai moi-même provoqué à cause de mon sentimentalisme et mon non-professionnalisme. Le café que j'ai entre les mains a refroidit. Imbuvable. Des jours, des semaines que je ne trouve plus le sommeil. Et quand celui-ci me gagne, ma pensée est toujours là pour me torturer face à d'horribles cauchemars... Souvenirs.

Que suis-je vraiment ? Coupable. Coupable de chose que j'ignore, coupable d'ignorer mes actes et leur répercutions. Pour ignorer mes actes passés ? Car tant que le souvenir restera flou, je tenterais de me convaincre le contraire. Fuir... Oui, c'est une sorte de fuite. OUblier, tout oublier. Même pas capable de mourir..
Un gardien entre dans la salle. Silence, comme avec tous les autres précédents passages, je ne bouge pas. Restant fixait sur ma tasse glacial remplit d'un liquide noirâtre amer. Un peu moins seule... Puis, une voix. Grave, masculine. Gardien Joe. Un instant de panique me traversa, serait-il au courant de tout ? De mes meurtres passés ? Il veut m'arrêter ?
STOP ! Ombrage, reprends-toi ! Comment pourrait-il être au courant de ce genre de chose ? Personne n'est dans ta tête, personne. C'est pour cela que cette solitude spirituelle t'envahit. C'est vrai.. Je relevais mes yeux fatigués vers lui, avant de me lever et de m'appuyer contre le mur près de la machine. Joe était de ces gardiens, qui, simplement avec leur présence, pouvait faire trembler une pièce de détenu. La stature, la grandeur. Tout ce que je n'avais pas... Enfin bref.

"Que me vaut l'honneur de te parler de si bons matins ?"

Oui.. Honneur. Vraiment, ils valaient tous beaucoup plus que moi. Je suis fatigué d'être ici..Je pense que je devrais aller parler avec keila. Lui dire la vérité. Ce que je ressens, je ne pense pas lui briser le cœur... Elle est forte. Sinon, elle ne serait pas ici.
Un si bon matin...Je ne devrais pas être ici, mais être dans mon lit, à dormir profondément après avoir croisé Ayame en route vers son bureau...J'aurais pu refuser et fuir cette conversation. Joe ne semblait pas à l'aise, est-ce de ma faute ? Était-il au courant de...

Miwako Okuda ♫ Shizuku

Quand j'entrai dans la salle des gardiens, elle était là, assise à la table, à fixer un gobelet de café qui ne fumait plus. Oui, j'avais d'abord choisi de l'ignorer et de faire comme s'il était tout à fait normal de ne pas lui adresser la parole aussitôt, pas même un bonjour. Et puis, après cette moitié de tasse de café, il avait bien fallu se jeter à l'eau.
Le son de ma voix ne la pas réagir immédiatement. Je me sentais déjà coupable sans l'avoir accusé de quoique ce soit, car cette pauvre fille me faisait vraiment peine à voir. Lorsqu'elle leva, enfin et lentement, ses yeux vers moi, ces derniers étaient soulignés de gros cernes. De vraies valises. Avait elle mal dormi parce qu'elle avait été de service la nuit dernière ou bien parce que sa conscience la travaillait ? Si ça avait été ce dernier cas, ne l'aurais je pas remarqué plus tôt ? Non, bien sûr, puisque j'étais trop occupé, jusque là, à m'occuper de mes propres affaires, de mon propre grade au sein du bataillon des gardiens... Je me haïssais de plus en plus. Je regrettais aussi d'être venu ici, car je semblais accumuler les vices. D'abord peu graves, mais restant des vices, ils devenaient plus dangereux et honteux. Par deux fois, déjà, j'avais commis un grave péché. Un péché qui me vaudrait de perdre l'accès au Paradis où m'attendait Caroline. Tout ça à cause de cet enfoiré... Après la première fois, j'aurais sans doute pu être pardonné, mais avec ce qui s'était passé dans la salle de visite, autant dire que mon âme était déjà damnée.

Je me repris alors qu'Ombrage se levait pour aller s'adosser à un mur. Son café devait être froid, pourquoi ne le jetait elle pas ? Et le mien ? Il était encore brûlant. Je le conservai dans mes mains, pour les occuper et les empêcher de réagir nerveusement de façon trop visible.
Alors qu'elle parlait d'honneur, je sentis ma gorge se serrer. Non, vraiment, ce n'était plus du tout la peine de parler d'honneur avec moi. Je ne valais plus ça. Je ne méritais plus aucun respect. Plus rien. Je déglutis doucement et tentai de mettre mes sentiments de dégoût envers ma propre personne de côté. Mes problèmes personnels n'avaient pas à interférer dans les histoires de la Justice et du Bien, qui triomphait, quoiqu'il advienne.

« Et bien... Tu te souviens de cette affaire avec L1233 ? Lorsqu'il s'est enfuit avec moi jusqu'à l'hôpital de Portland ? Je ne sais pas si tu as été mise au courant, mais il possédait une arme. Une arme normalisée. Une d'un gardien. Sadwood, il m'a dit que c'était toi qui la lui avais fournie. »

Je sus que mon regard s'était rempli d'une tristesse infinie. J'étais tellement déçu en évoquant ces faits à haute voix. Ils étaient vrais et oui, j'étais déçu de Sadwood. Tout le monde la brimait et j'avais fini par apprendre pourquoi. Ces histoires de meurtres, de condamnation, de perte de mémoire. La Justice américaine lui avait fait une fleur, plutôt énorme et inattendue à mon avis, en la plaçant à ce poste. On lui avait donné une chance et elle l'avait peut être bien foutue en l'air. C'était tellement dommage.

« Pourquoi, Sadwood ? Qu'est ce que cette saloperie de détenu à bien pu te promettre pour que tu mettes en danger ta liberté beaucoup trop conditionnelle ? Il te fait du chantage ? Tu peux me le dire ! J'intercéderais en ta faveur s'il le faut, si tu t'es faite piéger. Mais il faut que tu m'expliques, parce que je ne comprends rien. »

Je marquai une petite pause, avant de lancer le plus difficile à entendre.

« En faisant cela, tu t'es rendue complice d'un meurtre Sadwood. Et les circonstances sont on ne peut plus aggravantes. »

Je m'attendais à ce qu'elle craque, comme je m'attendais à ce qu'elle réagisse calmement. Parce qu'au fond, j'ignorais totalement ce qu'on pouvait ressentir face à tout ça. Culpabilité ? Déni ? Détachement total ? Effondrement intérieur ? Quoi ? Mais quoi ? En fait, je ne voulais pas le savoir. Jamais. Ce que j'avais déjà fait me suffisait amplement.