Un autre. Encore. Ou plutôt, une autre.
Ces derniers temps, j'avais été si occupée à éviter soigneusement gardiens, directrice et détenus - l'un d'eux en particulier, bien sûr ... - que j'avais presque oublié ce pourquoi je faisais mon boulot. En même temps, je crois que m'enfermer dans mon bureau avait été une étape nécessaire. Peut-être même thérapeutique. Une convalescence après le choc.
Voir la cicatrice dans mon dos me gênait toujours autant, à tel point que je faisais un véritable ballet pour aller prendre ma douche sans croiser personne. J'avais enfilé une courte robe en tulle rose pâle, resserrée par un cordon de cuir au niveau de la taille. Je la détestais, mais ce jour-là, tous les autres vêtements couvrant mon dos avait été fichus au panier à linge. J'avais dans l'idée que je ne me sentirais plus à l'aise avec ma nudité pendant un certain temps.

Enfin. La détenue que je devais accueillir avait un nom charmant. Alice Lady.
"my dear lady", disait Clay. Quand ces mots résonnèrent dans mon crâne, en écho au nom de la nouvelle détenue, un frisson me parcourut la colonne vertébrale. Stop. Il n'y avait aucun rapport, à part peut-être les origines britanniques. D'ailleurs, il me suffisait de fixer la photo de la jeune fille pour faire immédiatement le point.

Les cheveux blancs, la peau pâle ... A la voir, j'aurais pu pencher pour un albinisme de type 1. Mais rien ne venait confirmer cette idée : pas d'anomalie oculaire, un score parfait à chaque œil, aucune tache pigmentaire. Curieux. D'une certaine manière, cette apparence lui donnait un air fragile, innocent. Son jeune âge complétait le tableau. Je soupirais silencieusement.
Elle allait sembler une proie facile dans ce bâtiment de prédateurs. Je sentais presque l'odeur du sang qui allait couler. Cette petite savait se défendre, et même si elle avait lardé de coups de couteaux ses parents adoptifs, j'avais une vague intuition. Comme si elle n'avait pas vraiment eu la voix au chapitre ...

Hallucinations, délires, insomnies ... En tout cas, elle allait avoir droit à des visites obligatoires dans mon bureau. Et peut-être aussi à des stages aux sous-sols ... Deardeath D.P. Je restais sceptique par rapport à cette dernière "innovation". La directrice était volontairement restée dans le vague quand j'avais demandé quelques précisions. Elle d'ordinaire si concise ...

Une fourgonnette balisée finit par s'arrêter sur les graviers. Aussitôt, mon instinct me poussa à me rapprocher du véhicule. Quand les portes s’ouvrirent, je fus incapable de prononcer un mot. J'étais surprise et scandalisée à la fois, mais seul un grognement désapprobateur franchit mes lèvres entrouvertes.

Alice était visiblement shootée, tenait à peine debout, portait une camisole, en plus de quoi ses "gardiens" la traînaient presque ! Et il y avait quelque chose ... Quelque chose qui me poussa à élever la voix.

"Je savais que Broadmoor ne rigolait pas, mais quand même ! La droguer !"

Les trois policiers semblèrent surpris. Forcément, en guise de salutation, on peut quand même faire mieux.
Et puis ce transfert était assez particulier : je savais qu'Alice avait passé deux jours à l'hôpital londonien de Broadmoor, un hôpital ultra-sécurisé où était placé des criminels. En revanche, il avait visiblement été décidé qu'elle avait plus besoin de prison que de soins, puisqu'elle avait finit par atterrir ici. Les polices de différents états s'étaient chargées du transfert, qui avait probablement été long pour tout le monde.
Le jeune devait être le chef, à en juger par l'aura de supériorité qu'il dégageait. Les deux autres, en revanche ... un seul coup d’œil me suffit à les juger. Des vieux cons.

"On ne fait que suivre les ordres, madame." Sans écouter ce que je considérais déjà comme une bêtise, je posais une main sur l'épaule de la détenue. Elle tenait à peine debout, et je crus même qu'elle allait s'écrouler quand l'un des vieux cons la relâcha. "Elle est dangereuse, à ce qui paraît."

Je me contentait de les foudroyer du regard. Dangereuse, d'accord. Mais la shooter et lui mettre une camisole ? Sans un mot, j'entrepris de défaire quelques sangles pour libérer ses bras.

"C'est comme vous voulez, mais si elle vous saute dessus pour vous étrangler ..."
Un ricanement amer s'échappa de mes lèvres.
"Ça ira, merci. L'étranglement est une routine, j'ai l'habitude."

Regards interloqués. Un instant, ils parurent même se demander si je n'étais pas moi-même instable. Finalement, le chef de la bande fit un signe de main à ses collègues.

"On s'en va." Lorsque je le vis se pencher vers la détenue, je me mis automatiquement sur la défensive. S'il tentait de la violenter ... "Fais gaffe à toi, petite."

Un encouragement ? il souhaitait bonne chance à Alice ?
Alors là. Des ricanements, des maltraitances, des insultes ... les gardes chargés du transfert à Deardeath m'avait fait assister à toute une panoplie de traitements infligés pendant les transferts. Visiblement, la police locale avait une autre doctrine ... certains de ses membres au moins. Il tourna les talons.

" …hum…bonjour… "

Ah ? Ah oui, c'était vrai. Je me retrouvais avec une détenue à moitié camisolée, quasiment suspendue à mon bras, et réputée comme lunatique. J'hésitais franchement à la confier aux gardes pour qu'ils l'emmènent à sa cellule.

"Bonjour. Je m'appelle Ayame. Tu es Alice, c'est ça ?"

Je préférais essayer des phrases simples. Comme elle n'avait pas l'air tout à fait en état de communiquer ...
Après un tour d'horizon rapide des options qui s'offraient à moi, je finis par décider de me conduire comme d'habitude ; Comme une bonne poire.
De toute façon, la mettre en cellule dans cet état, ça aurait été comme inviter tous les détenus à la charcuter immédiatement. Autant la conduire à mon bureau, et l'allonger sur la banquette en attendant qu'elle se remette du voyage.

"Je vais t’emmener dans un endroit calme où tu pourras te reposer. Tu es d'accord ?"