Où Liam commence fort à DearDeath.

Ça fais un bon moment que je suis planté devant ce miroir tout rayé, dans les douches, tout seul. Je venais de me laver, et en remettant le pantalon de la tenue, mon regard a été attiré par mon reflet. Et j'ai reçu un choc que je ne suis pas prêt d'oublier. Après deux longues minutes de bug intensive, à me détailler, j'ai dû me rendre à l'évidence : je suis incapable de me reconnaître. Ce n'est pas le fait d'avoir maigris, ou d'être blessé, non. Mais j'ai tout simplement l'impression que ce n'est pas moi, que je regarde quelqu'un d'autre, que ce n'est pas mon corps. Un sentiment d'étrangeté face à moi-même.
Et malgré le fait que je passe mes mains sur mon visage, dans mes cheveux, sur ma peau, puis que je regarde mes mains, il n'y a rien à faire, j'ai la sensation d'être dans le corps d'un étranger.
Cela m'était déjà arrivé, en plus, une ou deux fois. Mais ça n'avait pas duré si longtemps. Il avait suffit que je fronce les sourcils et que je m'approche de mon reflet pour que je me reconnaisse enfin. Mais aujourd'hui, en quittant les douches, ce n'est pas du soulagement que je ressens, mais de l'inquiétude et de l'incompréhension.

C'est donc plutôt silencieux que je laisse mon gardien escorteur me surveiller pendant que je rejoins le réfectoire. Je n'ai pas faim, mais j'espère que le fait de voir du monde me sortira de mes impressions bizarres.

Je ne sais pas ce que j'ai, à vrai dire je me suis jamais posé la question. Bien sûr que je savais déjà que je n'étais pas 'normal', mais depuis quelques temps, mon état semble empirer, et je me surprends à faire, dire ou penser des choses sans même y avoir fais attention.
Je réfléchis à tout ça en jouant avec la bouffe du bout de la fourchette, le nez planté dans le plateau. Certains détenus m'ont souri, à mon arrivée, car à force, ils se sont habitués à ma personnalité excentrique et attendent la prochaine connerie avec impatience. Ils seront déçus ce matin, alors.

La place libre à côté de moi est rapidement prise par un mec auquel je jette un coup d'oeil distrait. J'ai beau être déprimé, je reste toujours curieux, vous croyez quoi ? Enfin, je ne suis même pas interpellé par sa mèche verte vu tout les styles étranges des prisonniers. C'est plutôt sa carrure et sa taille qui me fait sourire, et intérieurement, je me sens soulagé de voir que je ne suis pas le seul gringalet entouré de gros monstres de muscles et de tatouages.

Une force colossale me décolle subitement de ma chaise, et j'ai le réflexe d'attraper les deux mains qui enserrent ma gorge pour tenter de les écarter, mais ainsi prit au dépourvu, je ne peux qu'agiter ridiculement  mes jambes dans le vide pendant que le type s'occupe de mon cas. Je me mets très vite à suffoquer, et sens mon visage perdre le peu de couleur qui le compose. Dans un essai désespéré, je parviens à approcher un  de ses doigts de ma bouche, et y plante sauvagement mes dents.
J'avoue que je ne m'attendais pas à une telle réaction de sa part, je pensais au moins qu'il allait relâcher son étreinte le temps que je puisse prendre un truc pour me défendre. N'empêche que mon agresseur se retrouve au sol, et moi aussi, du coup. J'en profite pour avaler une grande goulée d'air, les mains en appuies par terre, les yeux fermés. Franchement, ça aurait été bête que je me fasse tuer comme ça. Franchement.

En m'aidant à me relever, mon voisin de table s'excuse de cet incident et se présente. Toujours un peu sonné, je lui souris tout de même à mon tour. Mon masque de gamin joyeux est revenu comme s'il n'était jamais parti, et ce n'est pas pour me déplaire.

- Oh, tu sais, les agressions, c'est un peu mon quotidien ici, je commence à m'y habituer, dis-je en haussant modestement les épaules, la voix un peu cassée et la gorge douloureuse. Je suis Neil.

Après un léger silence, je le remercie de m'avoir aidé. Tout de même, un peu de politesse.
Je me sens soudainement oppressé par la foule de prisonniers autour de moi, certains nous dévisageant allègrement suite à la petite altercation.
Me tournant de nouveau vers Liam, je ne peux omettre qu'il me fait largement penser à quelqu'un. La forme de son visage, surtout, car ses yeux verts me sont inconnus.
Alors que je venais de faire quelques pas vers la sortie, je retourne d'un pas vif vers lui et pose un doigt sur mes lèvres en le détaillant, les yeux plissés :

- Tu ne serais pas de la famille d'un certain Ulrick, par hasard ?

Dans le pire des cas, je me prends un méchant vent. Et puis, parler à de nouvelles têtes, c'est toujours bénéfiques lorsque l'on est en taule. Avec un peu de chance il pourra m'être utile.

Il sourit à ma question et me réponds positivement. Du coup, je le trouve déjà un peu plus intéressant, car il pourrait me donner des renseignements sur Ulrick qui pourrait m'aider dans ma recherche de confiance de sa part. C'est donc naturellement que je réponds à son sourire par un sourire. On a jamais trop de sourires, ici.

- On a sympathisé. Je ne savais pas qu'il avait un frère, d'autant plus un frère détenu. C'est surprenant. Ça doit être frustrant de voir son frère pouvoir sortir du pénitencier quand bon lui semble, non ?

Personnellement, si mon frère avait encore été en vie, et bosserait ici pendant que je moisis en tant que prisonnier, je l'aurai très, très mal pris. Mais non, ça aurait été impossible, car si je suis ici, c'est de sa faute.
Je fis un sourire heureux au type à côté de Liam qui nous regarde de façon un peu trop intense et rapproche mon pouce et mon auriculaire à mon oreille, à la manière d'un téléphone. Mes lèvres articulent des paroles à son attention, et il détourne la tête avec un regard de mépris lorsqu'il discerne le « On s'appelle » pleins de sensualité ponctuée d'un mordillement de lèvres. C'est marrant, car ça marche à chaque fois. Si je veux que quelqu'un arrête de nous observer, suffit de se faire passer pour gay, et l'affaire est dans le sac. Ou pas, d'ailleurs. Ca dépend du mec, quoi. En général, quoi.

Je m'appuie contre le dossier de la chaise en me balançant un peu. Les gardiens ne vont pas tarder à venir me virer étant donné que j'ai 'terminé' mon repas. Il ne vaut mieux pas que je perturbe les autres, voyons.

- T'es là depuis longtemps ? T'en as pour longtemps ? Je sais je parle beaucoup, si ça te fais chier arrête moi de suite. Tiens ça me fais penser, la dernière fois, un gardien m'a carrément retourné une droite parce que j'ai osé me moquer de son gamin décédé. Non mais n'importe quoi, autant de violence à cause de simple parole. Je crois qu'il est parti en dépression, après. C'est ridicule, d'être aussi faible.

Je m'éclaircis de nouveau la gorge, encore douloureuse de mon agression. Ces mecs sont tous cinglés, va vraiment falloir que je fasse quelque chose. Tous les tuer pourrait même être envisageable. Enfin, j'ai vingt ans pour y réfléchir.

Et le voilà qui me plante carrément là. Pas dérouté pour autant, je le suis du regard, habitué à ce qu'on me laisse en plan à cause de mon débit de parole. Et c'est avec une intense stupéfaction que je le vois soutirer son paquet de clope et son briquet à un détenu particulièrement boudeur. Peut-être qu'il le connaît, mais la manière dont le type l'a regardé était vraiment spéciale.
Du coup quand Liam revint vers moi, je feins l'air idiot que je sais si bien me donner et m'étonne tout de même réellement de sa petite incarcération. Il me paraît bien trop … quelque chose pour ne rester ici même pas une année.
Je fronce les sourcils à sa demande. Des … pockys ? C'est quoi, ce truc, une drogue, ou une marque de clopes particulière ?

- T'as qu'à demander aux gardiens, la plupart sont corrompus. Je te conseille Isaac, un grand indien avec une cicatrice. C'est une vrai usine à tout ce dont tu as besoin.

N'ayant absolument rien à donner en échange, je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de bénéficier de ses services. En fait, je ne sais pas du tout comment faire pour me procurer un truc à troquer. Certains détenus ont de l'argent qu'ils peuvent utiliser sur un compte, remplis par leurs proches. Mais je n'ai personne, donc je n'ai rien. Normal.
Après un regard du côté des gardiens qui commencent à être agacé de nous voir discutailler tranquillement, je reprends :

- Et si on allait dehors ? Je sais pas toi, mais perso je suis pas dans leurs petits papiers. Et puis, dehors, on sera mieux. Pas d'oreilles indiscrètes.

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En me laissant pendre par les bras, à la cage à poule, je continue à papoter moitié tout seul :

- Et Ulrick, il a toujours rêvé de bosser dans une prison ? J'ai cru comprendre que ce n'était pas facile tout les jours, pour lui. Il s'est même fait agressé plusieurs fois.

Je suis bien décidé à lui soutirer des informations concernant son frère. J'ai beau déjà avoir plus ou moins sa confiance, c'est toujours bon à prendre. Et puis, si un jour j'en ai assez de jouer avec Ulrick, ce sera simple de le briser.

Liam sort quelque chose de sa poche, et c'est avec attention que je contemple ses deux dés. Des dés ? Il se trimbale avec des dés ? Oh, après tout, chaque détenu à plus ou moins un grigri porte-bonheur. Je ne suis pas matérialiste, donc ce n'est pas trop mon truc, mais chacun son délire.
Il se mit à me parler bizarrement, d'une voix soudainement adoucie. Intrigué, je lève les yeux sur lui, avant de contempler de nouveau les dés. À ses mots, je quitte un instant le monde réel pour plonger dans mon esprit, et le monde autour de moi paraît se transformer en trou noir.
Je ne veux pas qu'Ulrick meurt, car s'il meurt, je ne pourrai jamais avoir sa confiance, et donc, mon jeu n'aboutira à rien. Gardien. Le gardien mort ? Ce type, là, qu'Ulrick a poignardé ? Ah ! Oui, ce type !
Je lève un sourcil, la bouche entrouverte, et plonge de nouveau mon regard dans les beaux yeux de Liam. Son visage a changé, étrangement, il paraît plus … décidé ? Oui, un air décidé, sûr de lui, comme s'il est parfaitement sûr de ce qu'il fait. J'hésite longuement avant de répondre. Dois-je protéger Ulrick de ce meurtre, ou avouer à son frère ce qu'il s'est réellement passé ? Je pourrai aussi lui dire que je n'en ai aucune idée, et alors le problème serait clos. Mais sur le coup, je ne pense même pas à dire cela. Trop simple, bien sur.

Je secoue subitement la tête pour me reprendre et papillonne plusieurs fois des paupières, comme si je venais de me réveiller. Ce mec a une sorte de pouvoir de persuasion, c'est un truc de dingue. Je suis sûr qu'il est parvenu à choper les clopes du mec de tout à l'heure de cette manière. Facile de se laisser happer par un regard si intense qui semble lire en nous comme dans un livre ouvert.

S'il essaie trop tu n'auras que la solution radicale pour calmer sa curiosité. Coup de boule dans le nez, lui remontant l'os dans le cerveau, mort instantanée pour lui, et à la limite, gros mal de tête pour toi si tu t'y prends mal.

- Il s'est fait agressé par un gardien, et puisque je venais de sympathiser avec Ulrick, j'ai jugé bon de l'aider. Je ne voulais pas tuer ce mec, mais que veux-tu ? La vie réserve parfois de grandes surprises.

Malgré le fait que je me sentes totalement à l'aise, des sueurs froides me glissent le long de l'échine. Le regard de Liam ne se détache pas de moi, et j'ai un instant l'impression qu'il parvient à discerner le mensonge. Impossible, j'ai passé ma vie à mentir, je fais ça les yeux fermés. Alors, pourquoi ce regard ? Connaît-il la vérité ? Ce regard putain … Je me sens aspiré, c'est carrément insupportable.

- A ton tour, maintenant, dis-je après un nouveau secouement de tête. Que comptes-tu faire exactement ? Je ne pense pas que tu sois le genre de mec à balancer les autres juste pour le fun. De toute manière, les autres gardiens sont déjà au courant. Ulrick n'est pas en danger, point.

La conversation, pourtant à la limite du bavardage au début est en train de tourner à l'affrontement. Pourtant je sais que si je me mets le frère d'Ulrick à dos, ce n'est pas bon pour mes projets.

Le regard de Liam change de nouveau. Il passe cette fois-ci à quelque chose de plus menaçant, et malgré le fait que nous faisons la même taille, je me sens incroyablement petit. Et sa main posée sur mon épaule, signifiant 'si tu fais quoique ce soit je t'étrangle' n'arrange pas les choses. Ce mec m'a l'air carrément taré, et je suis étonné de la différence de caractère entre lui et son frère. Alors qu'Ulrick paraît bien plus qu'inoffensif, Liam m'a tout l'air d'être un monstre sur pattes. Pourtant, à première vue, il n'en a pas l'air, mais, je ne suis pas dupe. Son regard veut tout dire.
La manière qu'il a de me remercier sonne comme une menace. J'ai vraiment du mal à décrypter ses paroles. Serait-il un psychopathe dont le seul but est de nuire à son frère ? Peut-être qu'il m'en veut de l'avoir aidé. Ou que justement, il m'en est réellement reconnaissant, car ainsi, il pourra lui-même s'occuper d'Ulrick.

Lorsqu'il approche son visage du mien, j'ai même envie de reculer, au cas où il essaie de me mordre, ou pire, qu'il tente de m'hypnotiser. On ne sait jamais, hein.
Une faveur ? Mes yeux s'agrandissent de stupeur. Une faveur. Il est sérieux ? Je n'ai rien à lui demander. Enfin, s'il pouvait me trouver de la bouffe comestible, ça serait appréciable, mais je ne vais tout de même pas lui demander ça. Pour l'instant, je souhaite surtout comprendre un peu.
Je fais un pas en arrière histoire de retrouver un périmètre de sécurité suffisant et le défie ensuite du regard :

- J'aimerai bien savoir ce que tu cherche à faire. Ça m'étonnerait que tu porte Ulrick dans ton cœur. Ce gardien, c'est toi qui l'a payé pour qu'il lui fasse du mal ?

En temps normal, j'en aurai rien à faire. Mais avec le but stupide que je me suis mis en tête, il faut bien que je protège Ulrick.
Et si au contraire, Liam aime réellement son frère, alors, je peux très bien m'amuser à le pousser à bout en lui répétant le contraire. Puisqu'il n'a pas l'air net, ce serait simple de le faire sortir de ses gonds. Ça n'a aucune utilité, mais c'est toujours drôle à voir, même si je suis moi-même la victime. Enfin, tant que ça ne va pas trop loin, certes.

- En vrai t'es en taule parce que tu as cherché à le tuer, c'est ça ? Et tu as fais en sorte de te retrouver à DearDeath pour finir le travail ? C'est vrai qu'Ulrick est une proie facile.

Je suis persuadé que ce n'est pas ça, mais avoir le plaisir de voir son visage se décomposer est une faveur qu'il ne peut pas me refuser.

A défaut de se décomposer, son visage s'éclaire, et son rire fait grimper une intense bouffée de colère en moi.

Tue-le. Sur le champs. Brise lui la nuque, ou étrangles-le, maintenant, sans hésitation. Il n'y a même pas de gardien, profites-en, Neil.

De plus, il ébouriffe les cheveux, comme je l'aurai fais avec un animal. Ou comment me faire tourner en ridicule en moins de temps qu'il en faut pour le dire. J'ai l'impression d'être un gamin qui n'a rien compris, qui est attachant mais un peu concon sur les bords. Et ce que Liam me dit ne fait que confirmer mes dires.
Amoureux ? Interdit, je ne détache pas mes yeux des siens. C'est un terme bien étrange. Enfin, Liam est carrément bizarre, comme type, alors ça colle au personnage.
Je remets distraitement mes mèches en place, bien que je ne sois jamais coiffé à la
base, non plus. À par Blanche, personne ne m'a encore touché les cheveux. Elle était quand même plus douce que Liam, qui a quand même réussit à me faire craquer la nuque rien qu'en me caressant la tête. Enfoiré.

Et enfin, il m'annonce la raison de sa présence ici. Et bien. En fait, je me demande si c'est trois cents jours de détention sont réellement trois cent. Ou alors, si, et il a finalement choppé la peine de mort pour ses conneries.
Léger silence, où il guette mes réactions. Plus de trente-huit décès à son actif, ça fait quand même pas mal. Ma peur se mue en admiration pour lui malgré tout le mépris qu'il m'inspire. Trente-huit, alors que je n'en suis qu'à ma neuvième victime et demie, la dernière, je n'ai pas pu la terminer.
Il s'approche -encore- de moi, et je retiens un soupir d'exaspération. D'habitude, c'est moi qui joue sur la proximité des gens pour les rendre mal à l'aise, et voilà que je me fais prendre à mon propre jeu. Même s'il a remonté dans mon estime, je ne l'aime pas. Trop étrange, trop hautain. Pour ce dernier point, il rejoint Ulrick, seulement s'est mit en œuvre d'une manière différente, car Liam est pas effrayé pour deux sous.

Et voilà qu'il recommence à me proposer un 'service'. À quoi il joue ? Qu'est-ce qu'il veut, au juste ?  Il m'intéresse beaucoup plus qu'Ulrick avec ses propostitions. Acquérir sa confiance me paraît plus simple que de comprendre son frère. Et si je veux la protection du bibliothécaire, je ne peux pas m'empêcher de nourrir des pensées glauques à l’égard de Liam.
Alors, du coup, c'est moi qui fais un pas vers lui, et je me retrouve si proche que je sens son souffle sur mon visage.

Arrache-lui les yeux, ou brise lui les dents.

- Je m'en fou de ton frère, mentis-je. Moi je veux savoir comment tu fais pour pousser des gens au suicide.

J'ai déjà essayer, plusieurs fois. Le résultat n'a pas été concluant, et à la place d'un suicide, la personne entre dans une colère noire et je dois moi-même le faire cesser de hurler en lui tranchant la gorge. C'est tout aussi drôle, mais un peu de changement n'a jamais fait de mal.

Son regard se dérobe du mien, juste une seconde, avant de se replanter dans mes yeux, une lueur étrange y passant furtivement. Il descend lentement sur mon visage, un demi-sourire posé sur le sien, m'attrape brutalement par ma chemise et en moins de temps qu'il ne le faut pour comprendre, je me retrouve coincé entre lui et le grillage, à sa merci.
Je lui jette un regard noir alors qu'il me soulève le menton.
Ne me touche pas. Je déteste que l'on me touche. C'est moi qui touche les gens. Pas l'inverse.
J'allai ouvrir la bouche pour lui intimer de me lâcher immédiatement, mais il me coupe dans mon élan, et alors que sa langue par à la rencontre de la mienne, mes mains se crispent sur ses bras pour tenter de le repousser, et à par ça, je suis incapable de me débattre, comme tétanisé. Des fourmis me traversent de bas en haut, sensation désagréable que je voudrais faire cesser de suite. De suite.
J'aurai pu lui arracher la langue. Oui, j'aurai pu. Mais si je l'avais fais, j'aurai cédé à la violence, et transgressé mes règles personnels. Alors je me contente de gigoter pour qu'il me relâche, et quant il se détache enfin de moi, le sourire aux lèvres, un subtil goût de sang me glisse dans la bouche.

J'ai même oublié la question que je lui ai posé précédemment, et ce n'est qu'à sa réponse que je m'en souviens. C'était donc ça, cette sensation de flou quand il m'a parlé, tout à l'heure. Étrangement, ce sont plus ses yeux qui me font cet impression. Des yeux menaçants, que je prendrai un plaisir sadique à arracher en l'écoutant hurler.

Et bien, vas-y Neil. Qu'est-ce que tu attends ?

D'autres questions se bousculent dans ma tête. L'hypnose est quelque chose qui m'a toujours fasciné, mais je n'ai jamais été qualifié pour ça. Je suis doué seulement pour manipulé. S'est lié, mais différent.
J'ai bien trop de fierté, et suis trop énervé pour lui demander plus de renseignements. Il vient tout de même de me rouler une grosse pelle, là ! Et je n'ai pu rien faire pour l'écarter ! Genre, il est capable d'hypnotiser les gens avec sa langue, aussi ? Baiser empoisonné. Mes joues chauffent, je fronce les sourcils, la mine renfrognée. Et après un combat de regard, je lui saute littéralement dessus. Les mains appuyées sur ses épaules, je n'ai aucun mal à le faire basculer en arrière, et je me laisse tomber brutalement sur lui, levant le bras pour lui asséner le coup qui me démange depuis tout à l'heure.

Bug. Mon geste demeure en suspend, en l'air. Ses yeux m'arrête net, et je reste un instant figé, hésitant. Si je craque, je ne pourrai pas revenir en arrière. Pense à D5087, Neil. À D5087. Ce Liam, il ne mérite pas que tu lui porte tant d'attention, il ne mérite pas que tu le frappe.
En tentant de calmer ma respiration, je finis par capituler et me laisse retomber sur le côté, m'installant en tailleur à côté de lui, coudes en appuie sur mes genoux, sans le quitter du regard. Une flopée d'émotions m'envahit en même temps, et la seule chose que je trouve à dire est :

- Tu embrasse comme un pied. Tu sais peut-être hypnotiser, mais niveau sex-appeal c'est pas encore ça.

Et je ponctue ces sages paroles d'un haussement de sourcils empli de mépris.

De la curiosité, et de la patience. C'est ça que j'ai discerné dans son regard, qui m'a arrêté dans mon geste. Aucune once de peur, même infime. C'est énormément vexant, je dois l'admettre, moi qui ai pris l'habitude de faire flipper tout le monde en un coup d'œil et un sourire sadique. J'arriverai à le terroriser, c'est certain. Il est seulement beaucoup moins coopératif que ce que je pensais.
Néanmoins, je me félicite mentalement de ne pas l'avoir frappé, en fin de compte. Dans une simple bagarre, je suis censé ne jamais porter le premier coup, histoire de m'innocenter un temps soit peu, et surtout pour avoir une excuse pour péter un câble. Donc oui, c'est une bonne chose que je me sois stoppé.

Alors que je suis en train de digérer ma frustration de ne pas lui avoir fait peur et que j'essaie de me focaliser sur ma victoire personnelle, Liam me pose une question qui me laisse sur le cul. Que … Quoi ? Il sait ?
Je cherche la faille. À l'évidence, c'est un piège. Peut-être qu'il essaie même de m'hypnotiser. Ou alors, Ulrick l'a envoyé pour nous tester, moi et notre secret, et si je cède, son frère me bute sur le champs. À moins que Liam soit un gardien déguisé en détenu venu chercher des renseignements sur le biblio, car après tout, je ne suis sûrement pas le seul à avoir vu qu'il n'est pas totalement blanc comme neige.
L'instant de panique passé, je me redresse en position accroupie et lâche une forte exclamation :

- Ah ! Si tu avais vu ce qu'il s'est passé ! Terrible, du sang partout, genre tout autour de nous !

Je fais un mouvement ample des bras pour illustrer le « tout autour de nous ».

- Le mec était déjà dans un sale état, je pouvais même plus discerner son visage ! Puis il a débarqué comme un taré et il a commence à massacrer les restes du pauvre gardien avec un poignard dentelé ! Bim ! Dans sa gueule ! Et les yeeeux ! Les tripes à l'air, tout ça tout ça !

Mimant Ulrick se jetant sur un corps invisible, je m'applique à abattre ledit corps, ponctuant mes coups d’onomatopées parfaitement réalistes.

- … Un grand malade ! C'est un grand malade ton frère ! S'il se serait mis à rugir comme un lion, je n'aurai même pas été étonné ! J'ai carrément dû l'assommer avec une poêle pour qu'il se calme, et encore ! Plus mort que mort le gardien, c'était énorme.

Et pour conclure mon envolée lyrique, je me relève d'un bond avant de m'étirer longuement, fier de mon improvisation tirée par les cheveux. Si heureux que je tend la main à Liam pour l'aider à se relever.

Qui aurait pu supposer que ce taré de Liam me croirait ? Apparemment, c'est le cas, puisqu'il sourit d'un air satisfait. À moins que ce ne soit parce que j'ai plus ou moins respecté notre accord en jouant le mec un peu dans son monde. Ou alors, j'ai tellement bien joué le jeu que mon histoire paraît crédible. Je suis partagé.
Et le voilà qui me retripote les cheveux, et je ne me laisse pas avoir avec son geste plus tendre que tout à l'heure. Je demeure stoïque, même lorsqu'il approche son visage du miens et vient me remercier dans un souffle, sa respiration me chatouillant le cou. Interdit, je me passe une main prêt de mon oreille pour atténuer la sensation et continue de le dévisager.

- Tu m'as vraiment cru ? M'enquis-je d'une petite voix.

Si c'est le cas, sa réaction est bizarre en deux points distincts : apprendre que son frère est un meurtrier ne rend, en général, pas joyeux, et s'il le savait déjà, je trouve sa satisfaction bien trop excessive. Dans les deux cas, je suis sceptique.

- Pauvre Liam, dis-je après m'être repris. Tu es beaucoup moins dégourdi que tu en as l'air, en fait. Je ne sais pas ce qui cloche chez toi, mais ça ne doit pas être facile tout les jours. Non, vraiment, je plains ton frère. C'est dans ces moments-là que je ne regrette pas la mort du miens.

Et puisque je suis sûr d'avoir touché le point faible, je continue sur ma lancée, levant mon bras pour saisir sa mèche verte et la rouler entre mes doigts – comme il aime bien les cheveux, apparemment -.

- Je suis sûr qu'Ulrick attend patiemment la fin de ton compte à rebours.

J'ai toujours aimé jouer avec le feu. La dernière fois que je me suis brûlé, je me suis retrouvé à DearDeath, alors ça ne peut pas être pire.

Mes provocations ne le laissent pas indifférent, et j'attends patiemment la suite de la confrontation. Il ne supporte pas que l'on dise du mal de son frère. Soit. Son regard change, un lueur menaçante traverse son regard, et je glisse les mains dans mes poches, l'incitant à réagir d'un haussement de sourcils. Et je suis déçu de le voir s'éloigner comme si je n'avais rien dis. Pourtant, je sais que j'ai tapé là où ça fait mal. Il me prépare quelque chose ? Par mesure préventive, je reste un instant sur place, avant de finalement partir à mon tour, pensant déjà à autre chose.

J'étais parti dans ma cellule faire quoi déjà ? Attendez … C'est laquelle, ma cellule, pour commencer ?
Sceptique, je tourne sur moi-même, en plein milieu du couloir, incapable de me souvenir de quoique ce soit. Est-ce que je suis au bon étage, d'ailleurs ? Merde alors. Pour une fois que les gardiens me foutent la paix, il faut que j'oublie même jusqu'à mon âge. Je reste un instant sur place à tenter de renouer avec mes souvenirs proches, et lorsque je finis par abandonner, je me retrouve à genoux, immobilisé par une force colossale. Je mets d'ailleurs un instant à comprendre que trois mecs me maintiennent fermement, si fermement que leurs mains de camionneur sur mes épaules me font souffrir. J'ai beau essayer de me débattre, j'arrive à peine à remuer un peu, et je bascule en avant, me rattrapant de mes mains. Si je bouge trop, ils vont me briser le dos.
Je sens la colère me chauffer les joues et bouillir dans mes veines. La colère, mais surtout la honte d'être aussi simplement maîtrisé. Si j'avais pu je leur aurais arraché la tête. Ou briser chacun de leur os comme ils sont prêts à me faire.

Je me fatigue à tenter de me dégager de leur étreinte quand une ombre me force à lever la tête. Liam. Malgré l'envie de lui jeter un regard noir, je garde le visage le plus neutre possible en reprenant mon souffle. Son sourire m'énerve. C'est moi qui suis censé sourire comme ça, pas lui.
Ce qu'il me dit est bien loin de me calmer. Mon cœur s'accélère et mon ventre se sert. Je n'ai pas le temps de réagir qu'une douleur fracassante me prend à la main.
Je retiens un cri et me mords la lèvre en fermant fort les yeux. Mais une violente pression sur les cheveux m'oblige à planter mon regard dans celui de Liam. Ses yeux verts me donnent envie de vérifier s'il ne s'agit pas de lentilles.

Avec de l'acide.

Sa mise en garde me rappel son propre décompte. Il n'a plus rien à perdre, alors il en profite. Le salop. Et les trois armoires, là, il a dû les 'hypnotiser' comme il sait si bien faire. Une nouvelle douleur de coupure me prouve qu'il ne déconne pas, et j'ai une bouffée de panique. Mes mains, mes doigts, j'en ai besoin, plus que n'importe quoi d'autre. Mais en même temps, je suis déjà assez rabaissé comme ça. C'est bon, là, je suis soumis, il est trop fort, blabla, tout ça tout ça. Pas besoin de mettre ses menaces à exécutions.
Je me mets à réfléchir à vive allure, retrouvant d'un seul coup la mémoire que j'ai perdu quelques minutes plus tôt. Je sers les dents alors que la lame du couteau s'enfonce de plus en plus, mais refuse catégoriquement de crier. Ou de m'excuser. Je ne m'excuse pas, moi. Ce sont les autres qui s'excusent, d'erreurs qu'ils n'ont même pas commises. Juste par peur.

- Je ne t'ai pas tout dis sur ton frère ! M'exclamai-je dans un souffle, en proie à la panique.

Je gigote un peu, histoire de voir si les trois types me maintiennent toujours autant, et plonge mon regard dans celui de Liam.

- Concernant cette histoire, de ce que je t'ai dis tout à l'heure. Il ne l'a pas tué, ce putain de gardien, mais il l'a sérieusement amoché. Le mec a tenté de l'agresser, un truc du genre, et Ulrick était armé. J'ai simplement terminé le travail. Si le garde avait continué, probablement que ton frère l'aurait tué, mais ça aurait été de la simple légitime défense.

Je cherche le moindre changement d'expression, attentif au couteau pressé sur mon doigt, le cœur battant si fort qu'il me fait mal. Je me prends même à balayer le couloir des yeux, recherchant la présence d'un gardien qui pourrait me venir en aide.

- Relâche moi, maintenant, Liam, demandai-je d'une voix posée, soulagé de constater qu'elle ne tremble pas.

Oui. Détache-le pour qu'il puisse te fracasser la tête contre le mur. Pour qu'il puisse t'éclater ton si beau visage sur le sol.

J'ai parlé comme si je m'adressais à un enfant. J'ai bien l'habitude de ce ton de voix étant donné que c'est de cette manière que l'on me parle. Hurler ne servirait à rien d'autre que de l'énerver encore plus.

J'ai un instant d'espoir, lorsque le couteau s'éloigne de ma main. Une petite tâche de sang s'étale tout de même autour de mon doigt. Néanmoins, son sourire sadique m'indique qu'il n'en a pas fini avec moi, et c'est avec le regard agrandit d'effroi que je vois la lame se planter dans ma main. Un cri s'échappe malgré moi de ma gorge alors que la douleur se propage dans tout mon corps, insupportable, lancinante, tétanisante. Et il recommence. Encore. Et encore. Ma vision se brouille, tachetée de milliards de gouttes de sang. Ma respiration s'accélère, mon cœur bat tellement fort que j'ai peur qu'il s'éjecte de ma cage thoracique. Je me mords les lèvres à sang, empêchant un nouveau cri de s'élever. Tout mon corps se liquéfie et des larmes coulent de mes yeux. Ça n'a beau qu'être la main, j'ai l'impression d'être en train de mourir.
Je me mets à l'insulter de tout les noms que je connais, les yeux fermés et le visage tordu par la douleur. Et enfin, le poids qui me maintenait au sol disparaît, et je bascule sur le côté en saisissant ma main qui n'est plus qu'une boule de nerfs bouillonnante.
J'aurai dû en profiter pour me jeter sur lui, mais à vrai dire, j'en suis incapable. Toute mon attention est focalisée sur le sang qui me dégouline sur le bras, et le mot 'douleur' raisonne dans ma tête, en boucle. Des gémissements pathétiques s'échappent de mes lèvres, entrecoupés de sanglots et de jurons de plus en plus imaginatifs. Je suis ridicule. Je me déteste. Et je le déteste encore plus.

Je finis par réussir à me redresser péniblement, et mets un temps fou à me remettre sur mes jambes, bien trop flageolantes pour parvenir à courir. Les trois mecs se sont éloignés de moi après m'avoir longuement regardé d'un air étonné. L'enfoiré.
Des étoiles dansent devant mes yeux. Je n'ai jamais aimé la douleur et j'ai toujours été très sensible sur ce point. Une vraie chochotte. Autant dire que je suis à deux doigts de l'évanouissement.
Alors que je tente de retrouver ce fils de sa mère en string de guerre, appuyé sur le mur, pas par pas, mes pensées de meurtriers finissent par prendre toute la place dans ma tête. Et à cet instant, je suis bien loin de me dire que je n'ai absolument aucune chance contre lui. Au contraire, je suis persuadé de pouvoir lui arracher la tête à mains nues et de pouvoir le mitrailler rien qu'avec la puissance de mon regard.
Quand, aux escaliers, un gardien croise ma route, autant dire que je suis plutôt agacé. Je reconnais le teint basané du type de l'autre jour, Matt, il me semble. Il semble surpris, jette un coup d'oeil derrière moi avant de me propose son aide. Lorsqu'il touche mon bras, je me débats en criant que je vais le buter, que cet enfoiré va payer, et je trébuche sur une marche. Lamentablement.
Devant mes yeux, j'ai l'impression de revoir la scène, de me voir moi, et ce connard de Liam en train de me massacrer la main. Mon cri de tout à l'heure raisonne dans ma tête, en écho aux menaces de ce psychopathe. Tout cela se transforme en bourdonnement assourdissant, et je finis par me recroqueviller et me plaquer mes deux mains sur la tête, me tâchant avec mon propre sang.

Quand je rouvre les yeux, ce sont des murs blancs que je découvre. Un bruit régulier tape contre mes tympans, et il me faut un long moment pour parvenir à mettre de l'ordre dans mes pensées. Et quand le visage de Liam resurgit, souriant, satisfait de lui, je me sens bouillonner.
Par réflexe, je lève ma main à hauteur de mon visage, plissant un peu les yeux pour améliorer ma vision. Elle est emmitouflée dans au moins trois kilomètres de bandages, et quand j'essaie de la bouger, je me mords violemment la lèvre et des larmes viennent me picoter les yeux.

- Vous avez perdu un doigt, monsieur Cian, m'indique une voix féminine. Votre auriculaire. J'ose espérer que vous êtes droitier. De plus, votre main va mettre un long moment à guérir. Nous avons pu sauver votre pouce de justesse. Vous aurez sérieusement besoin de rééducation. Et encore, vous avez eu de la chance. Un peu plus, c'est votre main entière que vous perdez. Estimez-vous heureux.

Je lance un regard noir à l'infirmière blonde, trop énervé pour réellement saisir l'information. C'est vrai qu'elle n'a jamais été très sympathique, et elle n'est pas du genre à mâcher ses mots. Caractère pourri pour une fille paraissant si mignonne. Je lui ferai bien ravaler son air supérieur.

- Un gardien vous a trouvé dans l'escalier, apparemment vous étiez dans un état déplorable, si ce n'est en pleine crise de nerfs. Nous avons besoin de savoir qui vous a fais ça.
- J'en sais rien. Je ne m'en souviens plus.

Elle tourne finalement la tête vers moi et me dévisage. Pense-t-elle vraiment que je vais lui dire ? Non, ce serait trop simple. Je veux avoir moi-même le plaisir de me venger. Alors quand elle me repose la question, je me mets dans la peau de l'amnésique, et lui fais mon regard de cocker que je sais si bien faire. Elle finit par s'éloigner, à mon grand soulagement.