Le soleil brille en ce quatorzième jour à DearDeath Jail. Le ciel est blanc et le vent souffle fort mais au moins on a du soleil. Je quitte ma chaise dans la salle de détente et jette mon gobelet en plastique qui ne contient plus qu'un gobelet de café froid. La lumière du soleil qui passe par la vitre me réchauffe la nuque alors que je referme le placard dans lequel se trouve la petite poubelle qui sert aux déchets. Il est encore tôt, les pensionnaires dorment encore pour la plupart. Je profite de cet apaisement temporaire et sourit même au chaton roux qui s'est infiltré dans ma chambre il y a quelques jours.
Je l'ai appelé Fluffy. Il a de grand poils mais uniquement sur la tête. Le reste du corps est recouvert de poils mi-longs. Ça lui fait une crinière de petit lion. Son apparence décalée est normale ici. J'ai songé à l’appeler Simba mais ses poils sont si doux … Il me grimpe sur l'épaule en sautant de la table où est rangée la cafetière et je grimace. Il ne se rend pas encore compte que ses griffes commencent à faire mal.
Je me mets en route vers le deuxième étage. Je vais aller voir Alice aujourd'hui, j'ai une bonne nouvelle. Elle a été prise comme aide de cuisine. Avec des mains comme les siennes, je pourrais faire pas mal de progrès dans l'aspect mangeable de la bouffe qu'on sert aux détenus. Et au personnel. Pauvre personnel. Payé pour manger du crottin.
Je descends les marches d'un air jovial, mon chaton sur l'épaule. Mes pas résonnent sur les marches de pierre. Cet endroit sent la mort. Je ne sais pas vraiment quoi penser. Est-ce que je m'attache trop à Alice ? Hm … En tout cas, avec elle je me sens bien. Comme à la maison, avant. Toujours souriant, je m'aventure parmi les cellules ouvertes, pas très rassuré, mais bon.
Arrivé devant la cellule d'Alice, je remarque qu'elle n'est pas là. Une de ses compagnes de cellule pourrait peut-être m'aider. Je m'approche et sourit. Il me semble qu'elle s'appelle Eden.

« Salut euh … Est-ce que tu saurais où est Alice. Petite, pas grosse, cheveux blancs …
-Oui. »

Après un instant d'attente, je comprends qu'il me faut reposer une autre question.

« Et donc, elle est où ?
-Laverie. »

Bon c'est clair, concis. Alice a du aller récupérer un uniforme propre. Je suis donc l'odeur de la lessive infecte qui embaume la laverie et quand je trouve Alice, mon sang ne fait qu'un tour. Elle est acculée contre les machines à laver par un détenu qui doit avoir mon âge. Massif, crasseux, il lui veut du mal. Je le sens, je le sens en moi.
Il passe sa main sur la fermeture éclair, déshabillant miss Alice et lui empoignant la poitrine, son autre main entre ses cuisses. Je vais lui buter la gueule à cet enfoiré. Serrant les poings, j'analyse la situation. J'ai de fortes chances de mourir. Je vais quand même essayer.
Je m'élance en avant et attrape une bouteille d'assouplissant à coté de la porte. Et je me jette sur lui, lui assenant un coup rapide et puissant. Il se tourne vers moi et chancelle. J'en profite pour le plaquer au sol. Je fais quoi maintenant ? Je fais quoi ? Je fais quoi ? Je m’assoit à califourchon sur son gros ventre dégoulinant de graisse et je frappe à nouveau avec la bouteille d'assouplissant. Une fois. Deux fois. Cinq fois. Dix fois. Vingt fois.
Quand l'assouplissant qui s'échappe de la bouteille trouée se mélange avec le sang du détenu, je réalise. Il est mort. Il est mort et je l'ai tué. Je déglutit alors que Fluffy s'avance vers Alice et ronronne fort en se frottant à ses jambes. Je relève mon visage, maculé de gouttes de sang, vers ma petite sœur. Je tremble et lâche la bouteille d'assouplissant qui déverse toujours son contenu à coté de moi.

« Tu vas bien ? »

Je viens de commettre un meurtre. Mais si elle va bien, ça en vaut la peine.

Merde...Merde...MERDE !... Pourquoi je ne peux rien faire...ça va faire deux fois... Deux putains de fois que je me fais piéger... Deux fois la même blessure... Non stop...ne va pas plus loin... Ne me touche pas... Ne me touche pas !

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Ma tenue de rechange ne sent pas très bon... Vivement que mon officielle soit propre ! En parlant de ça...j'aimerais parler à un gardien ! Tiens, en voilà un !

- Hmmm...excusez-moi monsieur, savez-vous si les tenues ont été lavées récemment ?
- J'en sais rien, t'as qu'à aller voir toi-même !

Très aimable... mais je lui tendis tout de même un sourire. Vu leur métier...il est plutôt normal de recevoir une telle réaction. Vivement, je me levais et me dirigeais vers la laverie. Quelques coups derrière soit, pour voir si personne ne me suis...et hop j'y suis ! Bon...il n'y a personne c'est déjà ça. Maintenant...rechercher ma tenue ! Alors...pas en haut, pas en bas, pas dans les sacs...peut-être dans les corbeilles qui viennent juste d'être remplies !

J'allais voir en un coup de vent et trouvai ma tenue toute propre. Mais à ce moment-là, je me pris un coup de vent à la tête et me retrouvai au sol. Je sentais qu'il voulait m'immobiliser, mais je ne le laissais pas faire, me débattant de toutes les forces que je pouvais avoir. Je réussis à le griffer au visage, ce qui me valut ses représailles : ma tête entre ses mains et cognée violemment. Le sol me parut plus froid tout d'un coup. Tout se glaça, et je compris ce qu'il voulait faire lorsqu'il m'attacha les mains dans mon dos avec ma tenue propre.
Relevée et plaquée au sol, je sentais le froid m'envahir de plus en plus.
...C'est fini... Je ne tiendrais pas... Mais je ne veux pas ressentir ça encore... Je ne veux pas... Pas ma tenue...laissez-moi... Arrêtez... STOP !...
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Puis le sol. A nouveau. Je restais par terre, et entendais des bruits étouffés. Je n'en pouvais plus. Trop de pression même s'il ne m'avait rien fait, au final. Trop de pression pour ma tête, pour mes émotions, mon cœur. J'essayais de faire le nœud dans mon dos. Si c'est celui auquel je pense...il ne faut pas tirer, mais glisser doucement ses mains pour pas qu'il se resserre. Les mains dénouées, je rabattais mon costume gris contre moi. Mes doigts n'avaient pas la force de refermer le tout, et je me contentais de tenir les bords. Malgré ma blessure, j'entendais des bruits réguliers, comme si...si...

"Tu repenses à tes coups de ciseaux Mon Ange ? Mais c'est le cas. Ce cuistot est en train de faire ce que j'aurais fait si cet homme t'avait touché."

...Que... Cuistot ?... Vous voulez dire que...

"Les gens font souvent des choses folles pour ceux qu'ils aiment. Et je pense qu'il tient beaucoup à toi."

« Tu vas bien ? »

Cette voix...monsieur Basile ? Non...il...il ne peut pas... Comment aurait-il pu...
Je sursautai, quelque chose venait de heurter ma jambe. Un chat ?... Il ronronne...

« ...O...oui... Je...je...je vais bien... Mais...et vous ?... Vous êtes...taché... »

Son apparence...son regard... Il est... Taché. Taché du sang d'un immonde personne. Jamais je n'aurais pu imaginer monsieur Basile dans cet état. Maman n'avais rien prédit de la sorte pour lui...juste une immense volonté à protéger. Faut-il vraiment se salir les mains pour appliquer la justice ?
Je me relevais tremblant de toute part, le chat toujours ronronnant contre mes membres. Mais une douleur me rattrapa aussitôt, et me fit repartir au sol. Ma respiration s'accélérait d'une traite. Des mots saccadés et presque inaudibles se dégageaient de mon être. J'appelais.

« ...Ba...si..le... »

Elle angoisse, je le vois bien. La simple idée de mentir pour se protéger elle même lui fait peur. Elle craint de ne pas y arriver. Elle a mal quand elle ment. Oh mon Dieu, elle est si honnête. C'est admirable. J'en aurai presque les larmes aux yeux, mais je ne peux pas m'abaisser à une telle faiblesse maintenant. Alice doit être forte. Elle doit mentir. C'est comme ça. Je me force à lui sourire pour la rassurer et lui prend doucement la main, pour l'encourager.

« Tu y arriveras, Alice, j'ai confiance en toi. Personne ne fera attention si tu es nerveuse. Ils comprendront que tu puisses l'être dans une telle situation. Contente toi de répéter ce que je t'ai dit et tout se passera bien. »

J'appuie mes mots avec des hochements de tête. Je veux être aussi convainquant que possible. Et si elle y croit, les autres aussi. Et il n'y aura aucun problème. Je serai le seul mêlé à cette affreuse histoire. La victime et le bourreau. J'assumerai.
Alice a soudain l'air de prendre conscience de quelque chose de grave. Elle ne veut pas qu'à cause de ce... Ce combat. Qu'à cause du résultat du combat, je sois emprisonné. Elle ne veut pas que je vive l'enfer de la prison. Est ce qu'elle vit vraiment l'enfer, elle, ici ? Je ne sais pas. Finalement, je sais si peu de choses sur elle. Je me contente de les deviner. Mais pour autant, je ne vais pas l'abandonner.
Je renforce encore un peu mon sourire qui a tendance à vaciller et tente de la rassurer de la voix la plus posée possible :

« Bien sûr que non, personne ne me jettera derrière des barreaux. On ne me fera rien. Je serai tout autant disponible pour toi. Alice, je te l'ai dit. Je serai là pour toi, toujours. »

*** Un an plus tôt ***

« Je serai là pour toi, toujours. » « C'est vrai Basile ? » « Bien sûr, je suis le meilleur grand frère du monde, non ? » « Oh ça oui ! » Emilie se jette dans mes bras et je la sers, heureux. Heureux de la rendre heureuse. Et puis, son visage s'assombrit. Elle fixe ses chaussettes. Et relève la tête vers moi alors que je commence à me demander ce qui se trame là dedans. Et elle me balance tout. Les larmes aux yeux. Sa voix tremble mais elle continue, sans s'arrêter. Et moi je la fixe, estomaqué, choqué, horrifié. Je ne l'interromps pas. Parce qu'aucun mot ne me vient. « Tu te souviens de ce mec ? Celui que j'ai frappé. Ce pourquoi papa voulait m'envoyer dans un hôpital ? Je l'ai fait parce qu'il m'a forcée. C'était un violeur. » Les mots sont si durs. A l'intérieur, je suis désespéré. Pourtant je la serre contre moi, je suis fort. Je pense que je suis une montagne capable de supporter les pires tempêtes. Pour Emilie, pour qu'elle puisse s'appuyer sur moi. Et je lui fais la promesse. « Je ne t'abandonnerai jamais Emilie. Jamais. » Et je vais prendre un jour de congé. Pour que demain, nous nous rapprochions. Pour qu'elle se sente mieux.
Mais le lendemain, on est samedi. Et j'ai beau tanner papa, il refuse d'admettre que c'est une bonne chose que je m'absente du restaurant. Seul compte le travail. Oh, il me dit que je fais ce que je veux, mais qu'il en serait tellement déçu... Je ne veux pas le décevoir, pas après tous les efforts que j'ai fait. Je me dis qu'Emilie comprendra. Qu'elle n'est pas au bord du suicide de toute façon. Que le lendemain et tous les jours suivants, on aurait le temps de parler et de rire ensemble. J'aurai le temps de lui faire un peu oublier.
Le soir, je rentre exténué mais content d'avoir survécu à cette journée. J'ai résisté à appeler Emilie. Je ne voulais pas qu'elle se morfonde trop sur moi, qu'elle puisse s'occuper comme elle le voulait. En passant à côté de la piscine, mon sourire disparaît. Il y a un corps dedans. Mon cœur rate un battement avant que son rythme ne s'accélère brutalement. Quelqu'un est mort dans la piscine. Une fille. Et je sais, au fond de moi, de qui il s'agit. Mais je ne veux pas me l'avouer. Alors je plonge. Je la récupère et nage jusqu'au bord, lentement parce que je m'emmêle. Je me maudis. Je l'allonge sur le dos. Merde. C'est elle. Je commence le bouche à bouche et le massage cardiaque en priant tous les dieux que les Hommes aient pu un jour avoir. Je pris le Destin. Je prie la Mort elle même. Et puis Emilie crache. J'ai eu si peur.
Je sors de l'hôpital en larmes et me venge sur une poubelle publique. Plusieurs fois. Elle est morte. Ma sœur est morte. Et il n'y aura même pas d'enterrement. Je ne pourrai pas faire mon deuil. Parce que son corps est toujours en vie, lui. Je devrai supporter sa vue dans un lit d'hôpital, rattachée à des fils et incapable de me parler. J'aimerai juste la tuer. Mais je suis incapable de tuer.

***Back in time***

Je serre Alice contre moi, sans plus aucune retenue, sans pudeur. Je retiens à grand peine mes larmes, mais je veux être fort. Pour elle, je serai une véritable montagne. Pour elle, je serai un vrai soutient. Je ne faillirai pas. Je ne recommencerai pas la même erreur. Je tiendrai ma promesse. Et je ne laisserai personne me faire mentir.

« Allez courage Alice. Tout va bien se passer. »

J'entends les pas de quelqu'un. Il s'agit forcément d'un gardien, au son que font ses chaussures. Il entre, presque aussitôt suivit d'un collègue. Je ne les connais pas. Et je me suis déjà éloigné d'Alice, me rapprochant du corps. Ils ne peuvent pas se tromper. J'ai du sang sur les mains.

« C'est moi. »

Ma voix est lugubre quand j'annonce ma culpabilité. Le visage fermé, je m'avance vers eux et frôle le bras d'Alice avec mes doigts épargnés par le sang.

Tout va très bien se passer.

« Tu y arriveras, Alice, j'ai confiance en toi...

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- Non Noah je ne peux pas...t'es blessé à cause de cet homme pour moi...je ne peux pas faire ça...je ne peux pas mentir...
- Alice...je ne veux pas que tes parents te brutalisent plus qu'ils ne le font. Si tu leur dis que cet homme t'a attaqué parce qu'il voulait de toi, ils vont te critiquer et te rabaisser au lieu de te consoler. Je ne les laisserais plus faire. Je ne laisserais plus personne te toucher, quitte à en perdre la vie. Tu m'entends ?
- Non...je refuse que tu perdre la vie pour moi...qu'est-ce que je deviens si t'es plus là ?... Qu'est-ce que monsieur Corbeau va penser de toi ? Tu as mis tellement de temps à m'approcher sans qu'il ronchonne. Je refuse qu'on t'insulte. Alors s'il te plait...vie pour moi... Ne meurs pas...je t'en supplie...
- D'accord je ne mourrais pas. Mais à une condition.
- ...Laquelle ?...
- Embrasse-moi.
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...Contente toi de répéter ce que je t'ai dit et tout se passera bien. »

Personne ne le jettera en prison ?... Il en est sûr ?... J'ai peur...je veux vraiment pas qu'on lui fasse du mal...même s'il dit qu'on lui fera rien.
Disponible...pour moi ? Toujours ?...

Je tremblais à l'écoute de ces mots... Il ne dégage pas la même chose que Noah, pourtant...ces intentions sont similaires. Me protéger...c'est sa réelle intention ? Pourquoi moi ? Est-ce que je ressemblerais à sa petite sœur ?... Et si c'est le cas...ai-je vraiment le droit de recevoir tant d'émotions ? ...Je ne sais plus. Je sais juste...que je ne veux pas remplacer sa petite sœur.

« Allez courage Alice. Tout va bien se passer. »

Je ne pense pas...avoir du courage...ou la force pour m'en servir. Deux gardiens arrivent ? Que...non...ne partez pas. A...attendez...

« C'est moi. »

Je me sentais impuissante. Certes, il l'avait tué...mais ce n'était pas de sa faute. C'était de la mienne. Je ne sais pas....mon apparence est-elle trop attirante ? Pourtant je n'ai pas beaucoup de poitrine...j'atteins à peine le B... Et je suis pas maquillée comme une dame des routes...et encore moins habillée comme elles. Pourquoi des gens essayent de me toucher ? Pourquoi je leur plais de manière malsaine ? Ce sont mes cheveux ? Mon apparence ? Ma voix ? Quoi bon sang...

"Cela restera un mystère mon ange, jusqu'à ce que tu murisses. Et pour l'instant, tu es une enfant. Tes questions sont très adultes. Mais ranges-les de côté pour l'instant, et pense d'avantage à te protéger."

...Je...vais essayer...

« Et la môme dans tout ça ? Elle a fait quoi ? Regarder la scène? »

Je levai la main, comme à l'école. Je ne savais pas si j'avais le droit de parler ou pas...mais au moins j'avais fait un signe que je voulais parler...

« ...J...je suis arrivée après ça monsieur... »

« Toi, je t'ai pas causé ! Hé le blond ! Alors, elle faisait quoi la môme avec toi ?! »

Je pensais qu'ils allaient se concentrer sur moi, mais je suis bien stupide d'avoir cru que ça serait aussi simple. Je suis pourtant prêt à me rendre à la police, à la justice ! Tout ! Tout pourvu qu'Alice ne soit pas mêlée à ça. L'un des gardiens s'avance et désigne la jeune fille d'un geste. Je lui jette un coup d’œil que j'espère in-intéressé, mais j'ai bien du mal à masquer mon inquiétude. Alors je hausse négligemment les épaules et reporte mon attention sur le gardien. Je vois qu'Alice veut parler, elle va corroborer ma version. Ou plutôt, je vais pouvoir corroborer la sienne. Alors je me tais et la laisse faire.
Elle commence son explication, se calquant sur ce que je lui avais conseillé de raconter. Mais ce qui se passe ensuite est pire que le scénario que j'avais pu imaginer. Le gardien ne la laisse pas continuer et la coupe, l'envoyant balader. Je fronce les sourcils alors qu'il s'adresse à moi en m’interpellant par la couleur de mes cheveux. Je ne sais pas comment s'appelle ce gardien, mais il est dénué de toute subtilité. Et il ne doit pas être très intelligent non plus.

« Comme elle vous l'a dit, elle est arrivée après. J'avais déjà fini avec ce type. Il m'a sauté dessus et a tenté de m'attaquer. J'ai eu de la chance et des bons réflexes. J'ai évité ses coups et... Je me suis emporté. C'est tout.
Ensuite elle est arrivée dans la laverie et a découvert la scène. On allait sortir pour prévenir quelqu'un. »

Le mec semble me croire, même s'il hésite avec un petit regard suspicieux. Je garde un visage fermé, neutre. En fait, cet exercice n'est pas si difficile. Maintenant qu'Alice est bel et bien hors de danger, je suis plus concentré sur ce que j'ai fait. Et ça me choque. Je suis au bord du traumatisme, je crois. Je m'horrifie. J'ai soudain la boule au ventre parce que j'ai l'impression de ne plus me connaître. Qui suis je maintenant ? De quoi suis je réellement capable ?
Je regarde ma main rouge d'un sang qui n'est pas le mien, alors que le gardien me prend brutalement le bras pour me traîner hors de la laverie. Mais je continue de fixer ma paume, les yeux exorbités, indifférent à tout ce qui se passe autour de moi. Et si j'avais pu tuer Emilie, en fait ? Si j'avais eu le courage de la débrancher et de... D'en finir avec sa souffrance ?

« Grouilles toi, gamine ! On n'a pas que ça à foutre. Retourne dans ta cellule. La salle est condamnée jusqu'à nouvel ordre.

Je me réveille alors. Quelque chose ne va pas dans le discours de ce monsieur. Ce n'est pas logique.

-Vous n'allez pas l'interroger sur sa version des faits ?
-A quoi bon ? C'est une détenue. Sa parole ne vaut rien. L'inspection fera son travail sans elle. Et si elle est impliquée, elle prendra cher, c'est tout. »

Je suis outré. Alice est sensé être tranquille ! Un petit interrogatoire vite fait et ça devait être terminé ! Mais s'il y a une enquête, elle sera forcément impliquée plus profondément. Je ne sais pas comment ça marche exactement, mais j'ai en mémoire des films bien noirs où on harcèle le suspect jusqu'à ce qu'il signe des aveux. Et on s'en fout de savoir s'il est vraiment coupable, du moment qu'on a le coupable idéal. Alors j'ai peur qu'Alice subisse la même chose, que les enquêteurs décident qu'elle est impliquée et que j'essaie juste de la protéger. En un sens, c'est vrai que je mens pour la protéger, mais ça ne change rien à ce qui est important dans l'histoire. Elle n'a rien fait de mal.

Alors je m'emporte. Je me dégage de l'emprise du gardien et je lui fous mon poing dans la figure. Il me le rend sans une once d'hésitation. Je ne vois plus rien pendant quelques secondes, je suis tout étourdi. Et je me rends compte que j'ai fini à plat ventre au sol. Je me redresse, je vois Alice qui est tirée par l'autre gardien en direction des cellules.

« Non, elle n'a rien fait... »

Celui qui m'a mis au tapis me relève en me tirant par le bras. J'ai mal mais je ne me débats pas, j'ai encore la tête qui tourne un peu. Une fois que je suis sur pieds, il me pousse dans la direction opposée à Alice.

« On va aller au bureau des gardiens examiner tout ça. »

Mais Alice ? Alice, est ce qu'elle va bien ? Est ce qu'elle s'inquiète ? Je devrai la rassurer, non ? Elle devrait venir aussi. Pour que je sois sûr et certain que tout ira bien pour elle.
Sauf que je ne peux plus rien faire. Pas tant que je ne serai pas devant un vrai décisionnaire.