J’ai grandi dans la banlieue de Winnipeg au Manitoba dans une famille sans histoire. Je sais, c’est un peu décevant. Les journalistes ont fait tout ce qu’ils ont pu pour trouver une sale histoire avec laquelle justifier mes actes, mais il n’y avait rien à trouver. On ne roulait pas sur l’or, mais je ne peux pas dire que j’ai vraiment connu la misère. La communauté francophone de Winnipeg étant plutôt limitée, j’ai décidé d’aller faire mes études au Québec. Je voulais voir ce que ça faisait d’être la majorité. Je me suis installé à Montréal et là-bas j’ai essayé plusieurs programmes et plusieurs universités. J’ai fait de la physique, de la chimie, de l’ingénierie, de la biologie, un peu de sciences humaines. Rien ne m’accrochait vraiment.

En parallèle de mes études, j’ai traîné un peu partout, j’ai fait la connaissance de gens peu recommandables et je me suis ‘’radicalisé’’. Du moins, c’est ce qu’ils ont dit au procès. Parce qu’apparemment tout le monde ne trouve pas qu’on est un peu trop sur Terre, qu’on empoisonne tout avec des industries à l’utilité douteuse et qu’après quelques siècles de colonisation on devait au moins aux Amérindiens d’arrêter de les faire chier jusque dans le Grand Nord pour y mettre des barrages et des mines qui polluent leur eau. Je suis devenu un anarchiste anti-civilisation. C’est aussi ce qu’a dit le juge. Je n’aurais pas utilisé exactement ce terme, mais on n’était pas pour se faire un débat de sémantique en plein durant le dévoilement des preuves.

Bref, j’ai décidé qu’il y en avait assez que les blancs débarquent avec leur machinerie et leur dynamite pour aller tout casser quand ce n’est même pas vraiment chez eux. Et j’ai décidé d’arrêter ça. J’ai posé des bombes pour détruire des chemins de fer (et parfois des trains) se rendant dans le Grand Nord canadien pour le développement industriel. J’ai aussi fait sauter quelques usines. Toujours la nuit, je n’ai pas le goût du sang (je suis végétarien d’ailleurs). Il y a bien eu une fois où j’ai mal prévu et j’ai tué un gardien. C’est pour ça qu’ils m’ont inculpé d’homicide, mais c’était réellement un accident.

Ça l’a duré quelques années comme ça. Je n’ai pas compté toutes les bombes, il y en a eu pas mal. La police a bien essayé de me retrouver, sauf que j’étais plus malin qu’eux et ils ne sont jamais remontés jusqu’à moi.

Mais l’art de la bombe artisanale étant ce qu’il est, un jour on m’a refilé du stock de qualité douteuse et je me suis éclaté la tronche. Bon… je dis ça pour l’effet dramatique, ça m’a éclaté dans les mains et j’ai reçu une pièce de métal dans l’œil. Ça l’a quand même été assez pour que les voisins appellent la police en panique et qu’ils arrivent en vitesse pendant que j’étais encore par terre à essayer de reprendre mes esprits.

Je vous sauve la suite parce que vous pouvez aisément l’imaginée : l’hôpital menotté au lit, la perte de mon œil, le procès, terrorisme, anarchisme, bombe et blablabla, puis me voilà en prison.