J'avais eu du mal à me concentrer sur ce dossier. Entre la douleur qui déchirait mon dos et l'épuisement qui m'avait gagné, une fois mes esprits à moitié reprit. Et obligée de passer à l'infirmerie. Moi qui préférais largement faire ma cuisine toute seule, j'avais au contraire réussi à impliquer deux prisonniers, plusieurs gardiens et l'infirmerie au complet dans une histoire qui me concernait, moi, et seulement moi.
Au moins, Kyle allait bien. Pourrait-il un jour me pardonner ? J'aurais espéré. Il était le seul prisonnier qui semblait avoir à peu près toute sa raison.

A moins que ... Cassy Matthews. Avait abattu deux flics qui avaient tirés sur son frère. Une histoire de vengeance comme il y en avait tant. Mais parfois, il y avait une raison toute autre et incompréhensible ... je pensais notamment à Allesbury. Combien de temps avant sa prochaine visite ? je préférais ne pas le savoir.
Une fois n'était pas coutume, je restais derrière la grille pour accueillir la nouvelle, le dos appuyé contre le mur. Mais je la vit à travers les barreaux. Une toute jeune fille ... si ce n'était pas malheureux. Il n'y a pas d'âge pour la haine. Ni pour le crime.

J'étais aux premières loges pour assister à son entrée remarquable - et sans doute remarquée - qui allait lui attirer des soucis avec les gardiens, à l'avenir.
Mais je comprenais sa réaction ... moi-même, j'avais parfois des répliques tordues à essuyer. Mais de mon côté, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même.
Ma voix était rauque, et chaque syllabes m'écorchait la gorge. J'avais tout de même caché les marbrures de mon cou sous un foulard. Pourtant, elle était forte et sévère quand je lâchais, à l'intention du gardien restant :

"A l'intérieur, vous avez tous les droits. Pas ici ... Tirez-vous."

Oh. Pas dans mon habitude, de parler comme ça. Mais j'étais fatiguée, et j'avais mal. Pas le moment, donc, de m'énerver.
D'ailleurs, mon état était visible. J'avais les nerfs à fleur de peau, et le gardien le comprit à mon regard. Il ouvrit légèrement la grille, et poussa Cassy à l'intérieur.

Bref, j'aurais du aller m'allonger, mais ce n'était pas ce qui était prévu dans mon contrat de travail. Ni dans les plans de la directrice. Et puis, j'étais la fille de Takeshi Shizuka ... je ne me laissais pas abattre aussi facilement.
J'adressais un léger sourire à la prisonnière. Exit, Allesbury. Peut-être laisserait-il une marque physique, mais il était hors de question que mon esprit en souffre aussi. Les portes se refermèrent avec un claquement de métal.

"Je suis Ayame Shizuka, la psychologue de cette prison ... c'est sans doute déplacé, mais bienvenue."

C'était très déplacé, oui. Mais je n'avais plus trop d'illusions sur le sort des prisonniers de cet établissement. Même si, en qualité de psychologue – et un peu de naïveté, peut-être – je considérais n'importe quel criminel comme un être humain. J'ajoutais, un peu lassée de cette éternelle répétition :

"Le lever habituel est à 7h30, le déjeuner à 12h30 et le dîner à 19h30. A 22h30, les prisonniers sont sensés être dans leurs cellules. Une cloche sonne à chaque horaire clé. L'exercice physique est obligatoire pour tous les nouveaux, en salle de musculation, de 15h à 18h. Les séances avec moi seront programmées selon vos besoins, sur votre demande, mais mon bureau est ouvert à toute heure de la journée."

J'entrepris de la guider à l'intérieur du bâtiment. J'en profitais pour murmurer à son intention, amusée à cette simple pensée :

"Et félicitation pour votre arrivée ... je n'aurais pas fait mieux moi-même."

Sans un mot aux gardiens, je signais le registre d'entrée; Après tout, je n'avais rien à dire. Je devais seulement la guider jusqu'à sa cellule.
Je venais juste de certifier qu'une si jeune fille avait franchi les portes de l'Enfer ...