Le détenu-jardinier tourne autour de moi, me présentant fièrement son matériel adoré, en bavardant gaiement. Je l'observe distraitement, bien plus intéressé par ses outils que par ses histoires. Jolie cabane, qui semble trop bien tenue par rapport à l'ensemble du pénitencier. L'endroit à beau être petit, il paraît … accueillant. Et à voir toutes les scies, pieux, tournevis et j'en passe, je me demande comment cela se fait qu'encore personne n'ait eu l'idée de piller l'endroit.
- … et DearDeath est l'un des seuls établissement à posséder encore ce genre d'engrais ! Il frappe un gros sac. Un sourire éclaire mon visage. Du nitrate d'ammonium. Autant dire bien plus que ce que j'espérai. J'ai beau avoir perdu l'usage de ma main gauche, je me sens d'un seul coup ravi. Tout ne se passe peut-être pas de manière si terrible que ce que je pensais.
- Je vous respecte beaucoup, déclarai-je quand il eut fini de parler.
Vous paraissez tellement heureux malgré la vie difficile qui règne ici.
- Oh, tu sais, on finit par s'habituer.
- Je ne serai jamais capable de faire preuve d'autant d'optimiste, je ne peux pas m'empêcher de vous admirer. Je baisse les yeux, me peignant un air honteux sur le visage. Il paraît s'attendrir, sourit, et me frotte amicalement le dos. J'ai beau détester ce genre de familiarité, je n'ai pas vraiment le choix.
- Sacré loupiot ! Au fait, on ne s'est pas présenté : je suis Philippe. Je redresse la tête, tentant de paraître étonné de cette soudaine affection :
- Neil.- Et bien, Neil, je suis heureux de te connaître. Si tu as besoin de quoique ce soit, n'hésite pas.- M … Merci, Philippe. Une fois à l'extérieur, loin de lui, je glisse mes mains dans mes poches – plus doucement la main gauche - et souris en sentant la forme froide et allongée du double de ses clefs. Cet homme va m'être bien plus utile que ce que je pensais.
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Dans la réserve de la cuisine, je m'applique à faire le mélange le plus consciencieusement possible. J'ai beau savoir que c'est assez stable, je sais que la moindre erreur me serait fatale. Et à partir de l'instant où j'aurai cessé d'agiter la mixture, j'ai bien intérêt à partir de cette pièce.
Cet exercice est beaucoup plus compliqué à appliquer de la main droite. L'autre est toujours enroulée dans ses kilomètres de bandages, et j'ai beau être bourré de médocs contre la douleur – médocs qui me shootent à moitié – la douleur est encore bien présente. Je déteste ce Liam. J'espère pour lui que je vais pouvoir récupérer l'usage de ma main. Sans elle, finit les portraits, finit la guitare, finit les jeux vidéos. Même si ici, il n'y a pas vraiment tout ça, ça me pince le cœur tout de même.
Je trépigne d'impatience. Depuis mon arrivée ici, j'ai monté le plan. Depuis mon arrivée, j'ai tourné mon idée dans tout les sens, cherchant la moindre petite faille. Je sais que ce mur débouche directement sur l'extérieur de DearDeath. Je sais aussi que ce côté de l'établissement n'est surveillé que partiellement. Je sais même que la réserve est assez grande pour éviter que d'autres murs que celui que je désire ne s'écroulent. Tout est calculé. Au millimètre prêt.
Alors, autant dire que j'ai la boule au ventre et les mains qui tremblent. Je n'ai encore jamais fais ça, je tiens la recette de je ne sais où, d'ailleurs. Mais je sais que ça fonctionne. Il suffit de voir comment le mélange fume pour me le confirmer.
Je remets distraitement une mèche de cheveux en place, les yeux rivés sur le saut. Je rajoute les derniers ingrédients nécessaires. Pour un peu on pourrait croire un sorcier en train de créer une potion magique. C'est un peu le cas, en fait.
J'ai tout de même un peu peur de me faire surprendre. J'ai beau avoir tout calculé, si quelqu'un entre à ce moment-là, je n'aurai pas d'autres choix que de le pousser à l'extérieur pour pouvoir sortir moi-même. Ou alors, le pousser à l'intérieur, comme ça, pas de témoin. Non, ça, je l'admets, je n'y ai pas vraiment réfléchis. Normalement, personne ne devrai rentrer, j'ai dis à Basile que je devais aller chercher un paquet de pâtes. Ça devrait le faire. Normalement.
En entendant un bruit à l'extérieur, tout proche, j'ai un moment de panique. M'assurant que tout est bon, une dernière fois, je me redresse subitement. Et me mange brutalement une étagère, qui renverse son contenu dans un vacarme assourdissant.
- Putain de bordel de merde ! M'exclamai-je en me prenant les pieds dans une boîte de conserve.
La fumée de la mixture devient bien plus compact, et elle me fait méchamment tousser. Je me précipite à l'aveuglette vers la sortie, et la porte s'ouvre à cet instant. J'ai bien le temps de discerner la silhouette de Basile et de voir ses grands yeux clairs se poser sur moi. Et là, je me dis que je suis clairement dans la merde.