INTRODUCTION
La mâchoire disloquée, les orbites vides, du sang collant chaque petite mèche blonde contre son front emboué de glaise. On lui avait fracassé la figure avec tellement de force qu’on ne reconnaissait plus rien d’humain dans ce visage adolescent. Elle avait dû être jolie,
avant, songea le légiste, son masque bleu sur le nez. Arrivé près du canal, un promeneur avait rendu son croissant en découvrant son chien grignoter ce qu’il restait du cadavre décomposé. Il avait paniqué, passé son chemin avant de revenir. Il préféra donc prendre contact avec la police puis avec son psy. Ce fut pendant les analyses qu’on découvrit que la victime avait été abusée avant d’être traînée dans l’eau par son agresseur. Cette fois, la piste ne fut guère difficile à remonter ; le corps dégoulinait d'ADN. On trouva un coupable après dix mois d’enquête paresseuse.
Escorté par une garde armée et sévère, un petit homme en costard s'engageait vers le banc des accusés. Il arrangeait nerveusement ses cheveux gominés et offrait son visage à tous les objectifs qui le réclamaient. L'homme devait avoir une trentaine d'année. Avec une jubilation hilare, il répondait à toutes les questions qu’on lui posait. Toujours avec une prétention joyeuse. Il fallut le traîner de force dans la salle pour ne pas s’éterniser avec les caméras et les journalistes. Dans le sud des Etats-Unis, il était déjà connu pour la sauvagerie exceptionnelle de ses meurtres. On avait prévenu les enfants de ne pas sortir seuls. Les parents. On demandait au gens d’être accompagnés, de ne pas se promener sous le couvert de la nuit. Chaque ombre derrière une petite avenue était susceptible de dissimuler un prédateur. On avait imaginé un monstre terrifiant. La brutalité, l’horreur des crimes. On songeait à un géant, un colosse. Surprise fut quand on découvrit le nabot dépassant de peu le mètre soixante-dix. Il souriait à l’assemblée, béat. Le clin d’œil qu’il adressa à un reporter fit baisser des regards. Son avocat soupirait déjà. Suait à grosses gouttes. Il s'agissait d'une cause indéfendable, disaient les journaux locaux. L'avocat avait longuement discuté avec son client. Il en avait convenu qu'il ne s’agissait pas d’un homme. Juste d’un garçon avec une force titanesque et une boulimie affective indéfectible. Ou alors s'agissait-il d'un démon. Derrière son pupitre, l'accusé jouait tranquillement avec ses pouces. Le juge le regardait avec une drôle de curiosité et ils s’échangèrent un regard fasciné durant cinq longues secondes. On s’assit et un vague silence gêné s’empara de la salle inondée de journalistes avides de l'affaire qui avait suscité l'émoi et l'horreur à travers toute la région.
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Monsieur Benjamin Starkweather, vous êtes jugé ici pour des crimes sexuels et violents ainsi que pour meurtres de sept personnes. Que plaiderez-vous ?Benjamin se leva sur un signe de son avocat. Ce dernier, discrètement, croisa les doigts dans son dos et pria. Benjamin réfléchit. Sept, à peine ? Non. Non, absolument sûr que non. Il y en eut plus. Tellement plus...
Il goûtait l'instant où, durant cette seconde fatidique, la ville entière se pendait à ses lèvres, ce moment si longtemps attendu depuis que l'on avait retrouvé la pauvre Astrid étendue de tout son long à travers les ordures immondes de la déchetterie publique. Il observa longtemps la foule, les caméras, les familles des victimes, son public. Et y nota la haine sur les visages. Et puis de la fascination, de la colère, de la peur. Même de l’amour dans chez certains. Une gorgée d’audace lui gonflait le cœur.
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Monsieur Starkweather ?Levant un regard vide au Président, il sourit.
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Non coupable, votre honneur, articula-t-il comme une évidence. »
Une exclamation surpris la salle. Les gens se regardèrent sans comprendre. De désespoir, son avocat enfouit son visage dans ses mains. Ce n’était pas ce qu’ils avaient convenus, répéta-t-il entre les dents. Difficilement, le juge rétablit le silence dans l’assemblée. Ce procès prévoyait d’être une farce sans nom et messieurs les médias se régaleraient de l’évènement durant tous les mois qui suivront. Benjamin étira un large sourire satisfait.
***
LA MERE
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D'aussi loin que je me souvienne, Benjamin a toujours eut un train de retard sur les autres garçons de son âge. Il parlait mal, même après sa cinquième année et a redoublé trois fois ses premières classes. C'était un élève dissipé et très perturbateur. Malgré toutes les punitions. Parfois même, il les prenait comme un jeu. Pour lui faire apprendre quoi que ce soit, il fallait absolument capter son attention. Avec ses camarades, il était très susceptible. Il mordait souvent, il crachait, il se battait beaucoup... Nous avions beau tenter de le maîtriser, il était incontrôlable. A tel point que les psychiatres rejetaient la faute sur la manière dont nous l’éduquions... Ils osaient dire que nous en faisions un enfant-roi ! La mère de Benjamin s’était déplacée ce jour-là pour l’occasion. Cela faisait vingt ans qu'elle ne l'avait pas vu. En entrant dans la salle, elle eut un hoquet de stupeur à la vue de l'enfant terrible devenu homme. Benjamin la regardait avec amour et rien dans son attitude ne laissait transparaître colère ou tristesse pour la celle qui l'avait abandonné sans donner de raison, deux décennies plus tôt. Sans doute comprenait-il les craintes de sa mère qui, visionnaire, refusait de devenir celle qui mis au monde l'Ogre de Kanestreet. Ainsi était le surnom que les journaux avaient donné à Benjamin, aux prémices de sa carrière de tueur en série.
Christiane avait toujours sut que son rejeton était différent. Quelque part même, monstrueux. Sa force était déjà dix fois terrifiante. Tout autant que ses épanchements et ses lubies malsaines. Aussi avait-elle eut vite fait de se débarrasser de lui lorsqu’elle en eut l’occasion.
Le procureur ne levait pas les yeux de son petit carnet de note.
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Et… ?-
C’était faux, bien sûr ! Mais tout le monde se l'imaginait. Benjamin était très affectueux. Enfin… Envers moi, surtout. Il réclamait beaucoup de tendresses, ne voulait jamais me lâcher la main quand nous marchions dans la rue. Au parc, il ne voulait pas jouer avec ses camarades pour rester avec moi. C’était un garçon très envahissant.-
Et son père ? Avec Tom… C’était plus compliqué. Il était froid. Injurieux, même. Quand Tom essayait de s’amuser avec lui, il faisait la moue et venait immédiatement dans mes bras. Comme si je l’avais abandonné à un étranger. Je le repoussais, parfois ! Mais il insistait. Tom m'en voulait beaucoup de céder. Mais j'aurais tout donné pour que Benjamin partage quelques moments avec son père et son frère. Son frère… (Elle devint pensive et baissa tristement la tête.)
Je ne pouvais jamais pousser Alidor dans sa poussette. Sinon, Benjamin faisait des crises terribles, hurlait, devenait complètement hystérique ou tentait de frapper son petit frère. Impossible de les promener tous les deux. Parfois, Benjamin voulait se mettre à la place d’Alidor dans la poussette. Et comme il devenait ingérable, je devais porter le bébé dans les bras et pousser Benjamin.Dans la salle, la consternation fut générale. Christiane garda la tête piteusement baissée tandis que Benjamin gloussait à l'évocation de ses tendres souvenirs d'enfance.
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C’est à ce moment-là que vous aviez décidé de laisser votre mari s’occuper seul des sorties de votre fils. C’est cela ? -
Oui. Il avait insisté pour me soulager. Et puis, il souhaitait vraiment se rapprocher de son fils.-
Et ça a marché ?-
Non. Au contraire. C’était pire. Tom revenait épuisé, physiquement et moralement. Et Benjamin rentrait en larme, en criant que je lui avais manqué. Nous n'étions jamais séparés plus de quelques heures mais c’était suffisant pour le mettre de tels états de panique… Mon Dieu... Et quand il a développé son vocabulaire, il s’est mis à insulter Tom. Il passait son temps à provoquer son père. C'était devenu un hobby ! Il suffisait que Tom le croise pour qu'une injure fuse ! On a bien cherché à le cadrer… Mais nous n’avions pas plus de résultat que l’école. Nous avions d’ailleurs dû le changer trois fois d’établissement. Un jour, Tom m’a avoué que Benjamin s'était enfui du supermarché et avait failli se faire écraser pour revenir à la maison. C’était invivable. Nous n’avions même plus de temps pour nous occuper d’Alidor.-
Je lis que Benjamin était jaloux de son frère. Qu’il le maltraitait ? Elle baissa les yeux et son expression sembla vouloir abandonner. Réclamer pitié au procureur. Ce dernier, ferme et strict, ne se laissa pas adoucir par la confusion de la vieille femme.
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Que lui faisait-il subir, claqua-t-il sèchement.
Elle hésita, ouvrit la bouche. Referma pour trouver les mots et tenta de commencer une phrase.
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Il... Il le frappait souvent. Parfois très violemment. Avec des objets, des jouets. Avec sa force, c'était toujours un problème pour contenir ses crises de jalousie. Une fois, il a failli planter son frère avec un couteau. Heureusement, nous sommes intervenus à temps et Alidor n'en garde qu'une grosse cicatrice. Si nous n'étions pas si méfiants, Dieu sait ce qu'il serait advenu...-
Est-ce tout ?-
... Non. Il s’amusait aussi à brûler les jouets d’Alidor quand ce dernier refusait de les prêter. Nous ne savions jamais comment il trouvait les briquets et les allumettes. Ni moi, ni son père ne fumons.«
A force, nous avons commencé à craindre de plus en plus pour le bien-être d'Alidor. Alors nous avons décidé de le faire dormir dans la chambre, avec nous. Mais ça n’a fait qu’empirer. Benjamin ne supportait pas de rester seul et refusait de dormir, la nuit. Nous avons été contraints d’inverser et de faire dormir Benjamin à la place de son frère. Petit à petit, il a commencé à réclamer une place dans notre lit. Moi et Tom n’avions plus de vie de couple et mon mari a fini par s’installer dans le salon pour laisser Benjamin dormir à sa place.-
Continuez.-
En grandissant, Benjamin est devenu de plus en plus affectueux. Caressant, même. Qu’il me prenne dans ses bras était tout à fait normal. C'était même inhabituel, lorsqu'il refusait un câlin ou une tendresse. Mais au fur et à mesure, il devenait insistant, voir vicieux. Je sais quand une caresse est intéressée ou pas…-
A-t-il déjà tenté d’avoir une relation sexuelle avec vous ? (Elle hocha la tête et fuit la confrontation des yeux.)
Répondez à la question, s’il vous plait.-
Oui.Elle baissa la tête mais le procureur nota bien le regard qu’elle envoya à son fils. Benjamin n’avait pas quitté son air de satisfaction qui l'enrageait.
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Et comme pour le reste, vous avez cédé. N'est-ce pas ? »
Le silence de la dame, fort de signification, fit réagir les jurés. L’avocat de la défense demanda une analyse psychiatrique complète de son patient que le juge accorda. L’interrogation continua jusqu’à la fin de cette première audience. Avec la mère furent abordés les problèmes de Benjamin à s'intégrer. Ses élocutions difficiles, ses épanchements pour la violence et le vice et comment, lorsqu'il atteint l'âge de quatorze ans, elle trouva le moyen de se débarrasser de lui en l'envoyant travailler sur un chantier de Blacksburry, loin des moulins paisibles et des verts pâturages d'Orange. Depuis, elle ne le revit plus jamais jusqu'à ce jour.
***
LA VICTIME
La salle faisait silence. Benjamin s’installait à sa place, avec la même tranquillité que les semaines précédentes. Devant les jurés étaient passés tant de proches, de connaissances, tant de mondes et de témoins qu’il n’aurait su tous les énumérer. C'était alors au tour de sa vie sentimentale d'être éventrée face à l’assemblée. Benjamin, au fil du procès, nourrit le plus vif mépris pour le procureur. Il lui trouvait un air arrogant, une vanité perverse qui lui déplaisait. Aujourd'hui, il appela une jeune femme de la vingtaine d'années à comparer. Cette dernière avait le bras gauche dans un plâtre et évitait soigneusement de croiser le regard azuré de l’accusé. Ses cheveux blonds et ses yeux noisettes lui donnaient un charme innocent et candide. Cependant, frêle et pâle comme la mort, la jeune femme dégageait une sensation dérangeante et misérable. Pathétique comme le sont ces gens coincés dans leurs troubles passés, toujours en guerre contre leurs vieux démons. Avec une bizarre timidité, elle demanda un verre d’eau et s’assit précautionneusement devant le micro. Le procureur commença par s’excuser. La remercia d’être venue. De se montrer si digne et si courageuse. Benjamin continuait de la fixer, émerveillé par les petits tics nerveux et les spasmes d'angoisse qui agitaient la gamine. Mais même avec toute la volonté du monde, il ne réussit pas à trouver la moindre dignité dans ce petit corps malade et désabusé.
«
Votre nom et prénom, s’il vous plait. Le procureur avait l’air soudain mauvais et terrible. L'air de l'inquisiteur au procès de la sorcière.
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Jones Marilyn, murmura-t-elle loin du micro.
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Pardon ?-
Jones Marilyn, souffla la jeune femme avec plus de force.
Le procureur hocha la tête.
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Mademoiselle Jones a rencontré l’accusé lorsqu’elle avait douze ans. Lui en avait alors vingt-quatre et était vendeur dans un kiosque à journaux. Emploi qu’il exerçait depuis près de quatre mois.«
Mademoiselle Jone, dites-nous comment vous avez rencontré l’accusé, je vous prie.-
Je venais acheter le journal pour mes parents. Le kiosque était juste en dessous de notre immeuble et c'était une habitude d'aller leur acheter le magazine. Au début, je venais qu’une fois par semaine et de temps en temps, il m’offrait des bonbons ou du chocolat. Il discutait avec moi, même quand il avait d’autres clients. Alors j’ai commencé à venir plus régulièrement. Jusqu’à ce qu’il me propose de sortir.-
Vous n’en avez pas parlé à vos parents ?-
Non. Il me disait que si j’en parlais à mon père ou à ma mère, ils refuseraient. Il me disait comment leur mentir et quoi leur raconter dans certaines situations : Je voyais Tiffany, une copine d’école et nous voulions sortir au parc pour s’amuser. Mes parents l’ont cru.-
Que s’est-il passé ensuite ? -
Rien de particulier. Il était très gentil avec moi. On jouait ensemble, il m’offrait pleins de choses et on passait notre temps à se courir après. Un jour, il m'a emmené à la fête foraine. On c'était si bien amusé que c'était devenu un rituel, presque. Il me prenait souvent dans ses bras, me portait sur son dos, me caressait les cheveux, me massait quand on traînait sur l'herbe.-
Comment le viviez-vous ?Elle resta clouée, silencieuse près de deux secondes qui parurent une éternité. Puis elle baissa les yeux et croisa les bras.
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Très bien. On s'entendait bien... Sa voix se déroba sous les inclinaisons de ses émotions puis se brisa pour ne plus laisser que le silence régner. Le procureur baissa le menton sur son carnet de note.
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Dans votre témoignage, ce n'est pas ce que vous affirmez. Vous dites qu’il vous prenez aussi sur ses genoux. Et que vous étiez gênée par certaines de ses allusions. Vous dites aussi que ce dernier se montrait très insistant lorsqu’il vous prenait dans ses bras. Ne vous forçait-il pas, par exemple, à recevoir ses baisers ou à vous déshabiller lorsque vous étiez dans l'intimité ? Aucun autre son de s'échappa des murs de la salle. La jeune femme se replia encore sur elle et s'enfonça dans son siège. Elle se recroquevilla tant qu’elle sembla se fondre avec le décor. Grisé par la pudeur de son amie, Benjamin jugea bon de s'exclamer à ce moment-là.
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Aller, sois pas timide ! Tu te souviens pas de ce qu'on a fait dans la cabane, près du Grand Chêne ? Moi en tout cas, je m'en rappelle. Je me rappelle de touuus nos jeux. Je peux même le leur dire, si tu veux ! La jeune femme s’effondra subitement en sanglots. Le procureur sourit et ferma son carnet.
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Je n’ai rien à ajouter, votre honneur, conclut-il, satisfait. »
Alors qu’on faisait évacuer l’enfant, Benjamin envoya un clin d’œil complice à Marilyn tandis ce que ses yeux eurent la maladresse de rencontrer ceux de son bourreau.
***
LE PSYCHIATRE
Les farces humaines n’en finissaient plus. Le procès de Benjamin dura tant de temps, coûta tant d'argent, que les médias raillaient eux-mêmes cette interminable parodie. Plus personne ne suivait l'affaire. Passé de mode et d’horreur, les gens ne s’intéressaient plus guère à l’Orge de Kanestreet. On s'endeuilla des victimes et s'assura d'autres popularité sanglantes. On fit de peu des autres témoins. Amis, complices, ennemis, tous y étaient passé. On désirait alors conclure sur la note des psychiatres. Que enfin soit rendu le verdict prévisible à en rire
C’était un homme aux cheveux grisonnants et au visage serein qui se présenta devant le juge. Sa coupe hirsute avait été peignée avec difficulté et des mèches de cheveux se révoltaient sur son crâne dégarni, ici et là, lui offrant un air dément. Presque clownesque. Sa démarche était mal assurée, angoissée et angoissante. Il leva un regard inquiet à Benjamin qui lui rendit le même sourire curieux qui ne le quittait pas.
Le docteur Keeting était décrit comme un analyste doué et professionnel par ses pairs. Un homme droit et juste par ses proches. C’était lors d’une convention sur la marginalité des comportements anticonformistes et antisociaux que le docteur entendit pour la première fois parler de Benjamin. L’un de ses confrères, éminent psychiatre à l’asile de Ste-Fordwood, laissa entendre que la particularité de ce cas avait laissé perplexe nombreux théoriciens. Aussi, Keeting s’empressa d’inviter son homologue à s’étendre plus longuement sur le sujet, dans l’intimité tranquille de la cafétéria. Ils échangèrent ainsi durant près de trois heures avant de se quitter et Keeting fit promettre à son nouveau collaborateur d’organiser une rencontre entre lui et monsieur Starkweather au plus vite. C’était inévitable ; Sa curiosité venait d’être piquée au vif et Benjamin devenait sa nouvelle obsession.
C’était sur les côtes balnéaires de Miami que ce dernier fut arrêté. Alors entraîné dans la comédie la plus délirante de l’histoire de l’humanité, c’est avec un vieux taulard cinquantenaire canadien rencontré sur un site pédopornographique qu’il rassembla sous son autorité paternelle les célèbres frères Shelley. Deux des plus grands pervers psychopathiques que l’Amérique ai porté. Puis, plus tard, une jeune fille aux quelques travers dépressifs et dégénérés que Benjamin avait épousé après s'être enfuis de l'asile avec elle. La gamine assura vite de devenir la petite mascotte adorée du terrible quatuor ainsi que leur victime. Se massaient alors sous le même toit quatre détraqués, reconnus des services psychiatriques pour leur violence et leur instabilité, surveillés par la police locale. Malheureusement, la joyeuse colonie ne fit pas long feu et après quelques aventures, tous furent appréhendés. Ainsi fut dissoute la famille adoptive de Benjamin tandis qu’il retrouvait le calme et la paix chimique dans les bras de l’asile de Ste-Fordwood.
Quatre mois plus tard, il rencontrait le docteur Keeting. Une histoire d’amour qui dura deux ans avant que Benjamin ne prenne le large pour le Mexique et ne soit finalement retrouvé à Roadriver. L’homme s’était rendu : Les murs de l’asile le tenaient loin d’un ennemi qu’il s’était fait au cours de ses aventures. Un parrain local pour qui il travailla durant un mois avant de lui voler argent, voiture, maîtresse et d’entamer avec lui un heureux jeu de chat-perché sanglant et violent.
Son insatiable curiosité et son désir de postérité engageaient le docteur Keeting à rencontrer régulièrement Benjamin. Ce dernier, amusé par la singularité de l’analyste, réussi à l’intéresser et le convainquis de rédiger une thèse qui porterait alors son nom dans les hautes sphères de l’histoire. C’est au fil des entretiens que se noua un lien bien plus intime et personnelle que l'aurait imaginé le docteur. Fort de cette nouvelle relation, il décida de prendre en main le traitement de Benjamin et l’entraîna dans des expériences comportementales qui devaient représenter la consécration de ses projets. Cependant, il était déjà bien trop tard lorsqu'il s’aperçut que le patient s’était joué de sa confiance. C'était un beau matin de printemps que la chambre du patient fut retrouvée vide. Benjamin profita de ses nouveaux privilèges pour se faire la malle. Au nez et à la barbe de tous.
Quelques jours plus tard, Keeting reçu l'appel d'un numéro masqué. C'était Benjamin.
Commença dès lors un double-jeu auquel Benjamin participa avec amusement. Le docteur Keeting appela la police. Prévint Benjamin. Fut d’une sincérité froide avec les forces de l’ordre et s’assura que Benjamin réussisse à traverser l’Atlantique pour rejoindre l'Ecosse où sa dernière épouse s'était réfugié après l'arrestation de Benjamin, Henry et Percy Shelley. Leurs échanges téléphoniques réguliers lui permirent d’achever son livre. Élevé et satisfait, le docteur Keeting n’hésita pas longtemps à trahir son protégé lorsque celui-ci annonça son retour en Amérique. Benjamin l’apprit. Et pour ultime appel, il annonça à l’analyste qu’il sera sa prochaine victime.
Des mois plus tard, la police appréhenda Benjamin. Le psychiatre fut alors appelé à témoigner contre son monstre. Il accepta, par dépit de terreur mais intima ses collaborateurs à le protéger de lui. On lui assura que Benjamin en aurait pour perpet’. Le docteur accepta généreusement graisser la patte. Il falsifia quelques uns de ses travaux et annonça au juré, la main sur la Bible, que Benjamin était responsable de ses actes, selon les termes de la psychiatrie.
A peine eut-il prononcé ces mots que Benjamin bondit hors de son pupitre et se jeta à la gorge du docteur. Il fallut sept hommes pour réussir à la maintenir au sol. Neuf pour le faire sortir du tribunal.
Dans une panique peu commune, l’accusé fut emporté hors de la salle, hors des regards, hors du procès. Et tandis que l’on redressait le docteur, les menaces de mort de Benjamin vinrent cogner contre les murs de l'illustre bâtiment. Impiété finale avant la sentence. Le juge attendit cinq longues minutes avant d’oser restituer le calme au le Palais de Justice.
Le procureur prit une fois encore la parole :
«
Monsieur Starkweather est responsable de ses actes. Eh bien, soit ! Pourquoi l’a-t-on envoyé en pénitencier psychiatrique, dans ce cas ? Pourquoi d’autres victimes sont mortes de sa main ? Ne savait-on pas que monsieur Starkweather s’enfuirait ?
Bien sûr que si ! Vous, docteurs, soi-disant psychiatres, soi-disant spécialistes, ce sont vous les responsables ! Votre manque de discernement a coûté la vie à Alison, à Magalie, à Mary, à Scott, à Frederick… Il a permit à monsieur Starkweather de réaliser ses caprices les plus déments au nom de ses délires psychotiques. Et cela parce que vous n'avez jamais été capable de prendre le cas de monsieur Starkweather correctement !Le docteur Keeting s’assombrit. Baissa la tête car son orgueil lui hurlait de répondre.
Est-ce que la place de monsieur Starkweather est dans un asile ? Là où il se complait à se moquer des autorités ? Où il n’a peur ni des représailles ni de la justice ?Keeting ria.
-
C’est un psychopathe… Commença-t-il, narquois.
Quel que soit sa peine, il ne regrettera jamais ses actes. C’est à peine s’il est conscient du mal qu’il fait. En prison ou ailleurs, il trouvera le moyen de s’échapper. Et de recommencer. Encore et encore et…Le juge ordonna le silence au docteur. Mais le procureur ne manqua guère de noter sa remarque. L’avocat de Benjamin avait abandonné la partie mais la menace que laissait planer le procureur le laissa amère.
-
Et bien laissons-le gambader gaiement dans la nature, dans ce cas. Violer, tuer, torturer… Puisque nous ne pouvons rien y faire, d'après vous.
Ou… Faisons en sorte, tous ensemble (il prit soudain le jurée à parti)
que plus jamais de mal ne soit fait de la main de ce monstre. De cet homme.
Et pour un bien nécessaire, je réclame, pour monsieur Starkweather, la peine maximale : La perpétuité dans le pénitencier de DearDeath. Là où un monstre ne fait jamais plus de mal qu’à d’autres monstres. Où monsieur Starkweather ne pourra plus jamais se moquer de l’autorité. Et surtout, là où il ne pourra plus jamais entrer en contact avec cette pauvre Marilyn à qui, depuis le pénitencier psychiatrique de Ste-Fordwood, l’accusé envoyait de régulières lettres de menace.Un silence cathédral et puissant s’imposa pour de très longues secondes. Le procureur tourna la tête vers l’avocat qui la baissa. Sans autres commentaires, il regarda le juge. D'un commun accord, on leva la séance.
***
VERDICT
Présomption d’innocence brisée. L’avocat passa, piteux, devant les caméras. Tête baissée, la honte aux tripes, l’angoisse à la gorge, la mort das l'âme. Puis on laissa sortir les jurés.
« La parole est au juré. »
Benjamin passa devant la plèbe effervescente. Et dans un soulagement commun et unanime, les applaudissements résonnèrent dans tout le Palais du Justice. On arrêtait l’Ogre de Kanestreet pour la première fois. Dernière fois. Point final à un roman noir, une histoire d’horreur innommable et que l’on pensait interminable.
« Nous déclarons l’accusé coupable de meurtres au premier degré avec récidivisme ainsi que de violences et crimes sexuels... »
Menotté aux jambes et aux mains, on emmena Benjamin dans une camionnette de police. Sera-t-il transféré dès le lendemain, disait le commissaire en repeignant avec ses doigts sa petite moustache poivré-sel. Plus de retour possible. Terminé. C’était terminé. L’annonce de sa condamnation anima l’émoi des policiers. Aux aussi applaudirent. On félicita le commissaire qui levait ridiculement le menton de fierté. Les médias ne manquèrent pas de noter que la police avait mis plus de dix mois avant d'arrêter le coupable évident.
Sortant du tribunal, le procureur donna son interview. Sur le parvis de l’ancien bâtiment s’achevait une tragédie longue de plusieurs années.
« Monsieur Starkweather, le juré vous a désigné coupable d'homicide au premier degré ainsi que de crimes sexuels aggravés. La cour vous condamne donc à la peine à perpétuité dans le pénitencier de DearDeath.
Aucune remise de peine, aucune liberté conditionnelle ne vous sera accordées. Toute l’assemblée, comme un seul homme, se leva dans de grands éclats de triomphe. Et que Dieu ai pitié de votre âme. »
L’air abruti. Hagard. Benjamin se laissa trainer par la brutalité policière de son escorte. Il ricanait bêtement et jamais n’a-t-il essayé de se débattre. Jamais. On lui avait laissé ses chaussures, une chemise prêtée par l’Etat. On lui avait confisqué ses cigarettes et son chocolat.
Il sortit de la camionnette. Menotté, encore. L’animal. Il tombait une fine pluie, ce soir-là. L’humidité lui mordait les os, lui gelait le fond de sa gorge et lui brûlait les sinus. Des volutes blanches dansaient au rythme de sa respiration paniquée. L’hiver. Le tonnerre grondait violent et photographiait des images colorées des alentours dans la mémoire de Benjamin. Tout autour, la flore morte et desséchée. Une terre stérile. L’air même, gangrené. Ce grand portail était sinistre. Il grinça longtemps en s'ouvrant. Benjamin était trempé. Il avait froid, chaud. Il ne savait pas. Il ne savait pas s’il suait ou si c’était la pluie. Il riait quand même. Un épisode de sa vie. Simplement. Rien n'était sérieux. Il avança quand ses geôliers le bousculèrent.
«
Doucement, les gars ! On a tout notre temps ! Il le prit pour lire l’immense écriteau de métal au cap du portail.
Dear… Death… Il soupira.
En vrai… Johnny m’en voulait. C’pour ça qu’il m’a envoyé ici. Hein ? Ehe, cette pédale… Ca l’arrangeait bien, hein. De s’imaginer que je l’avais forcé. Petit bâtard… »
Benjamin explosa d'un éclat hilare tandis qu’on l’entraînait en silence dans le bâtiment.
Monsieur John Chesterfield. Monsieur le procureur.