Goodbye to you

Cette fois, j'avais préparé mon argent à l'avance. Je le glissai au chauffeur du taxi alors que la voiture n'était pas encore totalement à l'arrêt et sorti du véhicule immédiatement. Je fis claquer la portière en ignorant les recommandations apeurées de l'homme. Comme je continuais ma route sans faire attention à lui, j'entendis la voiture faire un demi-tour violent et s'éloigner le plus rapidement possible. Ca me fit sourire en coin. Maintenant, affronter la vue approchante des murs de DearDeath ne me faisait plus peur. Oui, cet endroit avait révélé mes pires défauts, mes démons intérieurs, ma folie cachée. Mais il ne me jugeait pas. Cette prison était un havre de compréhension. Un refuge pour les fous, les pires rejets de la société. Et j'avais finalement accepté d'en faire partie. En fait, j'avais même un petit pincement au cœur en songeant que c'était peut-être la dernière fois que j'avais cette vue.
Alors, je la savourai, à cinq mètres de la grille d'entrée. Le vent fort secouait mon écharpe comme un étendard rouge sombre dans mon dos. Les mains enfoncées dans les poches de mon blouson fermé jusqu'au menton, je fixais tour à tour chaque détail visible de là où je me tenais. La pluie se mit à tomber, d'abord à petites gouttes. Je ramenai ma capuche sur ma tête et rejoignis la grille pour présenter ma carte du personnel au gardien. Je ne connaissais pas ce dernier, même si sa tête me disait vaguement quelque chose, pourtant je me sentais nostalgique à l'idée de le quitter.

Une fois à l'intérieur, je montai dans ma chambre pour me changer et enfilai un t-shirt en coton gris clair à manches longues, ainsi qu'un pantalon de jogging assorti. Je nouai rapidement les lacets de mes baskets blanches et descendis en direction de la salle de musculation, du matériel dans les mains. Aujourd'hui, j'allais apprendre à Alice à boxer.

Lorsque j'arrivai à la salle, vide, il était encore trop tôt par rapport à l'heure que j'avais fixée la veille à la jeune fille. J'avais aussi demandé à Basile de passer mais ignorai s'il m'avait vraiment entendu. Il était alors en plein rush, juste avant le déjeuner des détenus, et avait fort à faire. Mais j'espérais tout de même que son cerveau avait retenu l'essentiel. Se radiner entre quinze et seize heures avec des glaces faites maison.
Je me positionnai face au sac et enroulait mes mains dans les bandages que j'avais emportés. Puis, je donnai quelques coups, calmement, histoire de m'échauffer, de me relaxer après ce que j'avais eu à subir toute la matinée. Petit à petit, mes coups devinrent beaucoup plus violents. Je me mis à maudire le monde, et mon frère. A maudire tout ce qui n'était pas moi, puis moi-même.
Seul un bruit dans mon dos me sortit de mes sombres pensées. Je me stoppai d'un coup et me forçai à décontracter mes épaules, avant de me retourner. Ce devait être Alice.

Il s'agissait effectivement d'Alice. Je mis de côté mes soucis et réussis à lui décocher un sourire presque sincère. Elle s'avança dans ma direction et se prit les pieds dans du matériel de culturisme. Affolé, je fis un pas en avant, mais rien de plus. Je savais que je ne la rattraperai pas. Elle ne tomba pas, se contenta de trébucher et d'avoir l'air gêné. Elle reprit sa marche plus lentement et en faisant visiblement attention à l'endroit où elle posait ses pieds. Je souris, les mains sur les hanches. C'était drôle, j'avais un peu l'impression de reconnaître ma propre maladresse le jour de mon premier cours de boxe. J'avais alors onze ans. Et j'avais détesté.

Alice se retrouva finalement à mes côtés et sembla dépitée par elle même. Pas de souci, ça se développerait avec l'entraînement physique, pensai-je. Si elle poursuivait après cette séance. Quelque part, j'avais hâte de revenir. Pour voir ces fameux progrès.

« Bonjour, lui répondis je sans mettre autant d'enthousiasme qu'elle. Tu arrives parfaitement à l'heure. Tout est prêt. Par contre... »

Je posais un index sur mes lèvres, les tapotant doucement, prenant un air faussement contrarié.

« Je ne vais pas t'apprendre à taper, Alice. Je vais t'enseigner la manière de boxer. C'est différent. Bon, on verra plus tard pour ça. Le mieux, c'est de commencer à te montrer comment faire. »

Je récupérai dans la poche de mon pantalon la petite boule de bandages en tissu que j'avais apportée spécialement pour la jeune fille. Je lui montrai comment le faire sur la main droite, puis la laissai reproduire mes gestes sur l'autre.

« Ca t'évitera de te blesser. Ca maintient tes articulations et protège ta peau. »

Je lui fis ensuite une petite démonstration sur le sac, quelques coups rapides suivis, pour finir, d'un gros coup qui parvint à déplacer le sac de quelques centimètres en avant. Je le stoppai des deux mains au retour et décontractai mes muscles en expirant généreusement.

« Okay, alors tu ne feras pas ça aujourd'hui. Ni avant longtemps. N'essaie pas d'être spectaculaire, il n'y a que dans les films que des types font voler ce genre de choses. Vas y, teste. C'est très dur. »

Je lui enseignai alors la position du corps, la façon de frapper, d'enchaîner quelques coups sans qu'elle risque de se blesser. Et puis, vint le moment de la philosophie.

« Avant que je te laisse vraiment essayer, je voudrai clarifier un point. Boxer ce n'est pas taper. Dans ce cas là, je t'apprends seulement à donner un coup pour te défendre. Honnêtement, je ne sais pas me battre. Mais donner un coup bien placé peut te permettre de t'enfuir. Il ne s'agit pas de gagner un duel physique, mais de sauver ta peau. »

Je ne pensais pas que c'était superflu dans un tel endroit.

« Et puis, tu peux aussi te maintenir en forme et te défouler, juste avec ce sac. »

Je tapotai gentiment mon ami plein de sable avec un sourire, puis m'éloignai de lui.

« Alors ? Maintenant que tu as eu quelques extraits, ça t'intéresse toujours ? »

(B)
Alice ne semblait pas rassurée. Elle avait l'air d'avoir un sérieux problème de compréhension vis à vis de la boxe. Je n'aimais pas ça non plus quand j'étais plus jeune mais avec le temps j'avais apprit à aimer prendre soin de mon corps. Quand j'étais devenu adolescent en fait. Je m'étais rendu compte à ce moment là qu'on attrapait pas des mouches avec du vinaigre.
Elle ne semblait pas très à l'aise avec les bandes, comme si elle essayait de se souvenir de quelque chose. Elle pensait peut-être à s’entraîner toute seule. J'étais content qu'elle prenne ça au sérieux et pas comme une corvée.
Elle me regardait avec une étincelle de je ne sais quoi dans le regard. Je ne savais pas pourquoi mais cette jeune fille s'était autant attaché à moi que je m'étais attaché à elle, et cela malgré Mr. C. Il n'était qu'une partie d'elle bien sur mais je ne pouvais ps m'empêcher de les différencier clairement. Ils étaient si … différents.
Elle accepta donc mon enseignement et j'en fus ravi. Elle ne semblait pas si contente quand je l'avais fait venir alors j'avais eu peur qu'elle ne soit pas intéressée ou pire, qu'elle me trouve lourd ou ringard. Je n'avais pas l'âge pour être ringard ! Et un bel homme gay ne peut pas être ringard.
Alors qu'elle donnait son coup de pied transversal, je me mordis la lèvre d’inquiétude. Qui était ce Noah ? Elle ne m'en avait encore jamais parlé. Je ne pensais pas que c'était un prisonnier ou un gardien sinon je les aurais déjà vus tous les deux. Lui avait-il fait du mal ? Sans doute que non, sinon pourquoi m'en aurait-elle parlé ? Souriant, je notai quand même qu'elle s'ouvrait un peu plus à moi, ce qui impliquait la confiance. Et celle du Raven Guy aussi.
Basile arrive à ce moment et je souri, satisfait. Il avait bel et bien rapporté ce que je lui avais demandé. Enfin... c'était soit ça soit une bombe bactériologique. Mais je doutais qu'il ait pu trouver une bombe bactériologique en si peu de temps. Hm … c'était impossible n'est-ce pas ?
Il posa le 'colis' sur le sol et Alice lui posa une question. La panique, la panique ! Je n'avais rien prévu pour lui. Malgré tout, j'essayai de garder un sourire calme.

« Peut-être une prochaine fois. »

Je ne savais pas s'il accepterait de participer à un prochain cours mais cela aurait pu se révéler amusant. Puis je reportais mon attention sur la jeune fille.

« Je vais te montrer un modèle à reproduire et tu vas t’entraîner d'accord ? En attendant, je vais te regarder un peu plus loin. »

Après lui avoir montré quelques passes lentes pour qu'elle intègre les mouvements de base, je m'éloignai afin de me mettre contre le mur avec mon ami.

«Basile … Je dois te dire quelque chose... »

Est-ce que c'était le bon moment ? Est-ce qu'il était la bonne personne ? Soupirant, je souri. Je devais lui dire, maintenant, au cas où il soit appelé pour une urgence. Moi j'en avais pour un temps, de toute façon, il n'y avait jamais personne à la bibliothèque.

VAMPS ♫ Evanescent

Quand Alice se tourne vers moi, mon sourire s'agrandit. Je suis content, très content. Elle a l'air bien. Vraiment bien. Apparemment, cette activité lui change les idées et la guide vers le bonheur. Et elle semble vraiment contente de me voir aussi. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine et se réchauffe comme une pierre en plein soleil de midi. Finalement, je ne lui fais pas peur. Le souvenir de ce que j'ai fait dans la laverie ne doit pas la hanter autant que moi. Logique.

Quand la jeune fille me demande si je viens moi aussi apprendre la boxe, mon visage s'illumine et j'ouvre la bouche pour acquiescer. D'un coup, ça me semble plutôt une bonne idée. Je ne suis pas dans une forme olympique, mais ça me ferait du bien de me défouler. Malheureusement, je me fais prendre de vitesse par Ulrick, qui refuse précipitamment de m'apprendre quoique ce soit. Je fais la moue et rajoute pour plaire à mon ami :

« Bon ben... Non. Je suis juste venu apporter un petit quelque chose pour tout à l'heure. »

Je désigne la glacière avec un sourire taquin. J'imagine déjà la joie d'Alice quand elle découvrira le goûter. … A moins qu'en fait, elle n'aime pas ça. … Mais non, c'est impossible, tout le monde aime les glaces ! En plus, les miennes sont très bonnes. Elles auraient du succès, c'est sûr et certain.

« Et toi alors ? Tu veux être la nouvelle Rocky ? Rocky VII ? »

Je les salue tous les deux d'un signe de tête supplémentaire avant d'aller me caler contre le mur, les mains dans les poches. Ulrick aussi a l'air plutôt bien. Sauf que je n'arrive pas à m'ôter de la tête la sale impression qu'il m'a faite en venant aux cuisines plus tôt. Quelque chose le tracasse. Est ce que ça a à voir avec Luckas ? Ou un truc plus grave ? Après tout, je ne connais pas grand chose de sa vie, même si on s'entend super bien. On n'est pas encore arrivé au point où on se confie nos grandes blessures de la vie. Immédiatement, mon esprit dérive sur Emilie.
C'est elle ma grande blessure. Son avenir est tellement incertain. Je me dis qu'elle ne se réveillera peut être jamais, ce qui est horrible. Et puis je me dis, même si elle se réveille bientôt, comment pourra-t-elle recommencer à vivre ? Le temps loupé alors qu'elle dormait, le souvenir de son accident dans la piscine. Oui, accident. Je me refuse à croire qu'il s'agit d'un suicide.

Je vois Ulrick qui s'avance dans ma direction et me décolle du mur d'une poussée des épaules. Il me distrait de mes tortueuses pensées et je me concentre entièrement sur lui. Alice est en train de s'entraîner de son côté, affrontant le terrible sac de sable.
Dès qu'il est à côté de moi, je l'attaque avec un sourire en coin.

« Alors comme ça tu veux pas m'apprendre à moi ? T'as peur que je te foute au tapis ? »

Je lui donne un petit coup de poing dans l'épaule, sans force.
Sauf qu'Ulrick n'a pas envie de rire. Quand il m'annonce qu'il veut me parler, mon sourire fond comme la glace si je l'avais foutu en plein soleil. Ca y est. Il va m'expliquer pourquoi il tirait une tête d'enterrement tout à l'heure. Les glaces, c'étaient qu'un prétexte. Ou alors c'était pour faire plaisir à Alice. En tout cas, si j'ai été convoqué ici, ce n'est pas seulement pour jouer les glaciers de l'extrême.
Un peu tendu, m'attendant au pire, je lance d'une voix basse, pour ne pas alerter Alice :

« Qu'est ce qui se passe ? »

Alors, la soirée folledingue qu'on a passé a-t-elle eu raison de son couple ? Luckas n'a sans doute pas apprécier la débauche et il a voulu rompre. Ou alors... Il a le vers solitaire. L'idée m'est venue comme ça.
Et pendant que j'écoute Ulrick, malgré toute la considération que je peux avoir pour lui et ses problèmes, sincèrement, je ne peux pas m'empêcher de surveiller Alice du coin de l’œil. Je crains qu'elle se fasse mal, c'est plus fort que moi.

D'espairsRay ♫ Dears

Je ne pus m'empêcher de rire doucement devant l'enthousiasme de mes deux amis. Alice qui tenait absolument à savoir ce qu'il y avait dans la glacière et Basile qui se mettait à sortir des références cinématographiques. J'enrayai dès que possible sur la boxe, pour sortir le colis de la tête de la jeune fille. Je ne voulais pas gâcher la surprise et j'étais incapable de garder un secret si on me tannait un peu.

Une fois que je fus certain qu'elle ait saisi le mouvement, je rejoignis Basile qui me donna une petite tape dans l'épaule. Je ne la sentis même pas mais goûtai sa plaisanterie avec un large sourire. En cet instant, j'étais bien. J'oubliais mes soucis. Ou plutôt, je ne ressentais plus les effets secondaires de ces soucis. Je les accueillais bien. D'un coup, ils ne me paraissaient plus si graves. Et je me sentais complètement capable de les affronter et même de ressortir vainqueur du combat.

« Toi, me foutre à terre ? J'aimerai bien voir ça. T'es plus mou que tes crêpes au beurre. »

Je tournai la tête vers Alice, qui scandait des provocations envers le sac de sable. Elle tenait absolument à ce qu'il bouge et cela m'amusa hautement. Si déjà elle arrivait à ne pas se fouler un doigt dans le processus, ce serait une belle victoire. Faire bouger le sac serait probablement pour un autre jour. Mais je souriais aussi parce que j'étais attendri de ses efforts. Elle me rappelait ma propre enfance. Quand j'étais déterminé à gagner ce championnat junior. J'avais finis dixième sur onze parce qu'à force de trop m'entraîner, j'avais affaibli mes poignets. J'étais un gosse complètement stupide. … Bon, Alice différait de moi sur ce point. J'en étais plutôt rassuré d'ailleurs.

Pendant que la jeune fille s'acharnait, des poings et des pieds, je reportai mon attention sur Basile. J'avais quelque chose d'important à lui cracher et je devais profiter de ce moment, qui était à DearDeath un rare moment de calme et d'intimité. Je savais que je ne pourrai pas obtenir mieux, à moins de nous enfermer tous les deux dans ma chambre à double tour. Et encore, une tuile pouvait toujours nous tomber dessus, par la fenêtre ou à travers le plafond.

« Je vais partir Basile. Pendant... Un mois. Je vais me faire opérer dans un autre état du pays. »

Je laissai à cette première information quelques secondes pour bien pénétrer l'esprit de mon ami, puis je poursuivis d'une voix atone. Je fixais le sol, essayant par là de me détacher de la moindre émotion qui pourrait me faire craquer et gâcher toute l'après midi.

« J'ai une tumeur cérébrale. Elle est plutôt énorme. Et ancienne. Mais on peut encore agir. Alors... Voilà. Les opérations vont s'étaler sur deux semaines puis je me reposerai à la campagne... Enfin ce qui se rapproche le plus de la campagne dans ce foutu pays. Pour le reste du mois. Et je reviendrai. »

Je m'empêchai de rajouter « si je survis à la première moitié de l'emploi du temps ». Je ne devais pas être négatif, c'était ce que m'avait conseillé mon médecin. Plus le moral était haut, plus j'amenuisai les risques de décès.

« Luckas n'est pas au courant. Et je ne veux pas qu'il le soit. Officiellement, je suis en visite chez ma famille. Voilà. »

J'avais peur qu'il me juge, qu'il me juge mal surtout. Je ne voulais pas entendre son avis du coup. Alors je profitai de la chute mémorable d'Alice. J'avais tout vu, sans réagir. Et je ne regrettais vraiment pas.
Je me précipitai néanmoins vers elle pour vérifier qu'elle ne s'était pas fait mal, mais elle se releva seule et apparemment sans bobo.

« Ton premier accident de boxe. A vrai dire, j'étais très loin de me douter que ce serait à cause d'une chute. Tu te débrouilles très bien. On mérite bien une pause, hein Basile ? »

Je fis un geste du menton en direction de la glacière. Basile le magicien allait maintenant entrer en scène et me faire vivre mon repas du condamné. Avec soixante pour cent de chances de réchapper de l'exécution !

Tomorrow never knows ♫

Devant l’enthousiasme d'Alice, je ne peux m'empêcher de me sentir comblé, même si ce n'est pas moi qui ai fait les glaces. Après tout, j'ai tout de même eu l'idée. Et puis, je lui avais promis cette glace. Okay, je lui avais aussi promis de la faire sortir. Ca, je n'avais pas pu le faire. Parce que je n'avais pas non plus trop insisté, ayant bien d'autres soucis en tête, au sens propre comme au figuré. Le petit plus était que les glaces de Basile étaient sûrement bien meilleures que celles que j'aurai payées en ville. Ce qui était dommage, c'était que nous étions dans des tenues peu conformes à l'idée de la sortie que je me faisais. Alice n'était pas en robe blanche à dentelle, je n'étais pas en chemise et jean, Basile... Si, Basile s'habillait bien même au travail. Il pouvait se le permettre étant donné son statut ici. Nous n'étions pas à la terrasse d'un café, profitant du soleil qui caresserait nos visages. Enfin, je me consolerai de tout ça dans quelques secondes.

Quand la fumée jaillit dans la salle, j'eus un petit mouvement de recul. Et lorsqu'elle se fut dissipée, je me rapprochai. Alice était déjà en train de saliver au dessus de la glacière. Elle plongea la main à l'intérieur et en sortit un cornet dont le tourbillon crémeux s'étendait bien au delà de ce que les lois de la gravité des crèmes glacées permettaient normalement. Je découvris ensuite les fameuses glaces. Il y en avait de deux sortes, une de chaque pour chacun d'entre nous. Oh, ce n'était pas bon pour ma ligne ça. J'ignorais si j'allais me faire les deux qui m'étaient destinées, mais je choisis néanmoins une de ces jolies roses.
Je m'assis ensuite en tailleur et commençai à lécher un pétale, puis à le suçoter, alors qu'Alice était en pleine extase après avoir mordu dans sa vanille. Je souris et levai mon œil sur Basile, tout en léchant la glace qui s'était collé à ma lèvre.

« Tu as fait de l'excellent travail. Je n'ai jamais mangé une glace aussi bonne ! »

Je n'aurai sans doute pas du être aussi surpris, c'était manquer de confiance en Basile. Mais bon, c'était vrai que c'était surprenant, un goût aussi pur.
Une fois que j'eus avalé le dernier morceau de cornet de ma première glace, je me levai.

« Allez, faut éliminer ça maintenant ! »

Je parlais pour moi mais quiconque voulait me rejoindre était le bienvenu. Je me dirigeai vers le sac de boxe et m'apprêtai à frapper, quand je vis la porte s'ouvrir. Quoi ? Mais l'heure de sport des détenus était largement dépassée !
J'eus une brève accélération cardiaque due à l'angoisse, mais elle s'arrêta quand je reconnus l'uniforme d'un gardien. Bien qu'il me semblait l'avoir déjà entraperçu à divers moments, je ne savais rien de lui, ce qui incluait son nom. L'exercice de mémoire était d'autant plus difficile que son visage était, comme pour les fois précédentes, à moitié masqué dans l'ombre de sa casquette de service. Pourtant, lui m'avait repéré.

« Monsieur Ulrick Gantley ? Pouvez vous venir dans le couloir, une minute ? Quelqu'un veut vous parler de quelque chose d'important. »

J'ouvris la bouche pour demander qui mais me ravisai. Je verrai bien en sortant.

« Amusez vous sans moi, je reviens, » fis je à mes deux amis en passant à côté d'eux.

Une fois dans le couloir, je refermai la porte sur moi et cherchai la personne en question. Mais il n'y avait que le gardien. Ce dernier me saisit par le bras et me plaqua contre le mur, posant sa main sur ma bouche pour m'empêcher d'appeler à l'aide. Il m'avait surpris et je n'avais pas eut le temps de riposter mais lorsqu'il souleva la visière de sa casquette pour dévoiler son visage, je me figeai tout à fait, tétanisé par la terreur.
Pas lui.

Violet ♫ Mascara

Liam. Liam. Non, pas lui. Pourquoi est ce qu'il venait gâcher ma vie ? Oui, j'en étais certain, qu'il venait pour la gâcher. Ce mec, mon propre frère, me terrifiait. Il avait pris la précaution de plaquer sa main sur ma bouche, pour m'empêcher de crier certainement, mais de toute façon, je n'aurai rien dit. J'étais bien trop pétrifié par sa présence.
D'un doigt léger, il caressa ma joue et je mis à trembler violemment, fermant l’œil. Je m'imaginais qu'il s'apprêtait à me faire des choses horribles, pourtant rien de tel ne vint. Il retira même la main qui pressait mes lèvres et y logea sa propre bouche. Ses doigts commencèrent à me toucher, me caresser, se glissant entre mes cuisses. Je ne repoussai pas sa langue, me laissant complètement faire, jusqu'à me laisser aller à quelques gémissements. Mes joues étaient en feu et mon entrejambe excitée. Je savais aux signaux qu'envoyait le corps de mon frère que notre échange allait très bientôt s'intensifier, mais quelque chose l'en empêcha. Ou plutôt, quelqu'un.
J'entendis la porte de la salle de sport s'ouvrir et soulevai la paupière. Basile. Je lui lançai un regard de détresse ultime, essayant d'échapper à la main de Liam qui me pressait l'entrecuisse bien trop efficacement. Mon frère s'arrêta de lui même, lorsqu'il comprit lui aussi que quelqu'un était présent dans son dos.
Il me lâcha, faisant face à Basile sans avoir l'air inquiété. Et je me retrouvai bien vite contre lui, comme si j'étais tout à fait d'accord et que notre relation n'avait absolument rien d'exceptionnel. Il y eut de très brèves présentations et Basile ordonna à Alice de ne pas bouger, avant de claquer la porte sur elle. Je tremblais toujours comme une feuille, incapable de faire quoi que ce soit de productif, alors que je n'étais pas si démuni en matière de puissance physique. Mais c'était ainsi. Liam était trop fort pour moi.

Très vite, Liam s'attaqua à Basile. Moi, je me contentai de reculer contre le mur, en espérant de tout cœur que mon ami l'emporte, mais sans y croire une seule seconde. Et pourtant, Basile réussit à plaquer Liam au sol et à l'y maintenir. A la surprise de tous, la porte de la salle de musculation s'ouvrit alors, laissant passer une glacière suivie d'Alice. Non ! Je ne voulais pas qu'elle se mette en danger ! Pourtant, elle me surprit autant que Basile même si, de sa part, c'était tout sauf volontaire. La glacière lui avait échappé des mains et alla cogner durement le crâne de Liam qui, s'il ne tomba pas dans les pommes, se trouva sévèrement étourdi. En tout cas, incapable de se défendre.

Un gardien débarqua à ce moment là. Je lui expliquai brièvement qui était Liam et surtout où il était sensé se trouver : en prison. L'homme l'embarqua et nous nous retrouvâmes seuls tous les trois, avec une glacière renversée. Je me laissai couler le long du mur et remontai mes genoux contre mon torse, dépité. Mes tremblements avaient cessé, mais je n'étais pas pour autant tout fier.

« Je suis désolé Basile, tes glaces... »

Celles qui restaient gisaient lamentablement au sol, foutues. J'éclatai alors en larmes et me mis à expliquer plus en détail à mes deux amis le danger que représentait mon frère. Les crimes divers qui lui avaient valu de se retrouver en prison. Son obsession bizarre pour moi.
Je tus sciemment l'attirance malsaine que j'éprouvais malgré tout pour lui. Envers ma propre logique de raisonnement. Cet homme me dégoûtait et pourtant...

"Je ne l'avais pas revu depuis très longtemps. En fait, la dernière fois qu'on s'est parlé remonte à pas mal d'années. Mais je l'ai vu rôder dans la prison depuis quelques jours déguisé en gardien. Je ne l'avais pas reconnu... Il prenait toujours soin de cacher son visage. Et puis... Pas une seule seconde je n'imaginais le trouver ici."

Pas revu…depuis très longtemps ? Ah oui c’est vrai…son amnésie à cause de son méchant frangin ! De là où il vient ? Mais…c’est un prisonnier de Deardeath et il sait hypnotiser les gens ! S’il ne veut pas partir, il a les moyens de convaincre les gens de le laisser ici…  Le protéger ? Monsieur Basile est vacciné de l’hypnose ? NON pas de pessimisme ! Il va y arriver et il n’arrivera rien à Ulrick ! Je suis prête à utiliser mon don et monsieur Corbeau pour y arriver ! Enfin…monsieur corbeau pas vraiment… Enfin…euh…

« T'as vu mes muscles de malade, même Luckas il ferait pas le poids face à moi. »

Il est drôle quand il parle comme ça monsieur Basile ! On dirait un super Héros ! Mais…c’est qui Luckas ? Il est gentil ? Il est grand ? Il est comment ? C’était ironique ? C’est une montagne de muscle très grande et très massive sans graisse ?

« J'en referais d'autres. Et puis elles étaient pas si bonnes. J'en referais des dix fois meilleures. »

Ah oui les glaces…les… OH MON DIEU LES GLACES !!! Y EN AVAIT ENCORE DANS LA GLACIERE !!! Comment ça elles n’étaient pas si bonnes ? Il en existe des meilleures ? Des meilleurs glaces encore meilleures que celles-ci ???
Je me rongeai les ongles à la vitesse grand V. Ils étaient longs, et je venais de les diminuer de moitié.

« Je vais y aller. J'ai du travail en cuisine tout ça ! »

Du travail ? Ah…et bien…si Ulrick va mieux je vais y aller aussi. Enfin si et seulement si Ulrick va mieux. Mais il a l’air d’avoir repris des couleurs ! Je lui fais un gros câlin.

« Surtout reposez-vous monsieur Ulrick ! Moi j’irais m’entrainer souvent ! Si vous avez un problème allez voir Basile ! Il sait résoudre pleins de problèmes comme les grands frères ! »

Je lui fis un bisou sur la joue et partie en courant toute joyeuse d’avoir appris pleins de choses et d’avoir ratatiner accidentellement un méchant monsieur.

Vamps ♫ Time goes by

J'étais en larmes, mais pas seul. Basile vint tout de suite me prendre dans ses bras, me rassurer, m'affirmer que Liam était de l'histoire ancienne maintenant. Oui, très bientôt. Dans un mois il le serait. Dans un mois, j'effacerai les derniers dégâts qu'il avait causés sur mon existence. Cette tumeur causée par ses hypnoses. J'étais bien incapable de savoir combien d'ailleurs, ou à quels moments. C'était là que résidait la magie de cet art...
Quand Basile prit mon visage dans ses mains, j'agrippai la manche de son haut dans mes doigts, lui souriant. Oui, je le croyais. Même si manifestement, j'avais besoin qu'il reste avec moi. Pourtant, je me fis violence pour le lâcher. Il n'était pas ma mère et ne pouvait pas rester pour toujours à mes côtés.
Il s'en alla en cuisine. Bien sûr, toujours si occupé. Je lui en voulais un peu de me laisser là, mais je le comprenais. Il avait sa vie aussi. Et il avait déjà payé pour mes propres problèmes en étant confronté à mon frère. Idem pour Alice...
Au moment où je tournais mon visage dans sa direction, elle se jeta sur moi. Je l'enlaçai avec un nouveau sourire. Elle était si gentille avec moi ! Je la serrai doucement contre moi, cette petite boule de bonne humeur. Lorsqu'elle s'éloigna, je séchai mes larmes du revers de la main et reniflai un bon coup.

« Oui, d'accord. C'est vrai que Basile est formidable. Mais toi aussi tu sais. »

Basile était déjà un bon ami pour moi. En fait, il l'était au point qu'il était le seul, avec la directrice de l'établissement, à connaître la raison réelle de mon absence.

Lorsque je me retrouvai seul dans le couloir, je me relevai et allai récupérer mes affaires dans la salle de musculation. Au moment de la quitter, je pris quelques secondes pour lui dire silencieusement au revoir. Je n'étais pas certain de rentrer après tout.


Le soir tombait. J'avais longuement hésité devant la porte de Luckas, mais le taxi qui devait m'emmener en ville m'attendait déjà. Je ne pouvais décemment pas le faire plus patienter que ça. Alors, je me détournai pour emprunter les escaliers, la bandoulière de mon gros sac de sport sur l'épaule. A chaque fois que j'avançais, je jetai des regards insistants sur chaque porte, chaque écriteau. Idem dans la cour. Je saluais même chaleureusement un gardien que je n'avais jamais croisé de ma vie, les larmes aux yeux.
Lorsque j'eus engouffré mon sac dans le coffre du taxi, je restai encore une petite minute à fixer le bâtiment, sans tenir compte du vent puissant qui secouait mes cheveux.

Au revoir, au revoir à tous.

Et puis, je montai dans la voiture. Alors que la voiture démarrait, je me plaçai de façon à voir DearDeath jail le plus longtemps possible. Lorsque le premier virage eut soustrait la prison à ma vue, je collai ma main à la vitre et murmurai :

« Adieu Luckas. »