Le soir, dans ma cellule. Les deux dames avec moi dorment. Je m’ennuyais. Pourquoi ? Parce que je ne pouvais pas lire. Et pourquoi ? Parce qu’y a même pas une lampe de chevet dans cette prison ! Raaa ! C’en est rageant !! Je veux lire moi !!!

Je me mis à soupirer, à me tourner, me retourner. Le sommeil ne venait pas. Quand soudain, un sable d’or se déposa sur mon esprit. Le marchand de sable était passé.

Les rêves sont parfois révélateurs sur qui vous êtes, ce que vous aimez, vos peurs, vos angoisses. Parfois vous rêvez du futur, et parfois, du passé.

J’avais sept ans. Je me souviens. En réalité, monsieur corbeau n’a pas toujours été là. J’ai menti. Enfin…pas totalement. Enfin euh…comment l’expliquer...je le vois malgré tout. Il est vrai qu’au début c’était juste une sorte de fumée noire. Rien de plus. Mais il prit forme ce jour-là. Je m’en souviens maintenant. C’était…un beau jour, pour une fois. Les élèves en sortie. Moi dans la cour. Les professeurs en vacances. Et pour finir, l’infirmière. Là obligatoirement.
J’allais lui rendre visite comme chaque matin. L’appel quotidien quoi. Présente. Ensuite, j’allai sur le talus. Ce jour-là je réfléchissais, me concentrant sur le paysage, les crayons de couleurs en main. Je réfléchissais, pensais, imaginais, contemplais. Les natures mortes n’ont pas de fumée noire ou d’autres choses bizarres autour de la tête, elles au moins.

Je décidai de me dessiner. Simplement, parmi de paysage. ...Simplement…Seule… Personne d’autre sur mon dessin. Juste moi. Juste…moi…
Le dessin se mélangea par taches. Comme des bulles. Est-ce que je rêve ? Ah…non. Crayons aquarelles et larmes sur le papier. J’essayai d’essuyer, me rendant rapidement compte que frotter était une mauvaise idée.
Malgré le mélange, je demeurais seule.
Puis…une idée me vint. « Seule ? Non. Pas envie. » Je dessinai un deuxième personnage. Ou plutôt « une » deuxième personnage. Une jeune fille comme moi. Pareil. Une deuxième moi. Je n’étais pas satisfaite, j’étais heureuse. Contente de mon dessin, j’allai voir l’infirmière, lui montrant mon dessin. Elle eut l’air surprise.

« Qu’y a-t-il madame ? Quelque chose ne va pas ? »

Elle ne parla point. On aurait dit...qu’elle avait des remords.

« Attends-moi ici », dit-elle brusquement.

En quittant son bureau, je remarquai que sa démarche était vive.
5…10…15…20… le temps passait.
...Mais elle revient quand bon sang !
Dans l’agitation, je fis tomber une pile de dossiers. Et comme tout bonne élève : tu répares ce que tu casses. Je me mis donc à ranger les dossiers. Abby, Alexandre, Alexandra, Alice…
Alice ? C’est mon dossier ? Mon histoire ?... Je vérifiai que personne ne venais, peut-être qu’on a pas le droit de lire son histoire. Mieux vaut rester vigilante. Après tout, on ne peut pas reprocher à une enfant d’être curieuse. Mais cette curiosité-là, m’a conduit à mon état actuel.

Passage difficile…patiente…c’est lever…sans autorisation…hémorragie…décès…père déstabiliser…perturbé…assassinat d’une des jumelles…intervention des médecins…fenêtre…suicide…

Dinah, décédée 3 jours après sa naissance.

Jumelle…j’avais…une jumelle…
Je tremblais. Pas de joie, de peur. Folie ? C’est quoi tous ces mots ? … Ma maman voulait juste qu’on lui donne ces enfants, et elle en était morte… puis papa devint fou à la mort de maman et nous tenu, moi et mon égal, comme responsable de tout ceci. Mais pourquoi moi…pourquoi je n’ai pas été tuée avec elle…j’aurais été plus heureuse…pourquoi elle et pas moi ? Pourquoi…pourquoi elle a été tuée…pourquoi les médecins sont pas venu plus tôt ? Pourquoi elle n’a pas pu être sauvée ?! POURQUOI ?! JE VEUX VOIR DINAH ! JE VEUX LA VOIR !

Mon tremblement se transforma en convulsion. Et quand l’infirmière rentra avec le médecin, j’étais tout simplement inconsciente. Ils sont intervenus trop tard, pour me dire ce que j’ai découvert moi-même. Et je rêvais. Dans mon rêve j’étais seule…encore une fois… Il faisait froid. Un froid glacial qui me brûlait les poumons. Puis, une voix transperça mes oreilles. Ce n’était pas la voix d’une fille. Elle était plus masculine, mais me parlait comme si j’étais…

" Ta sœur serait déçue si elle te voyait dans cet état petit ange…tu ne crois pas qu’il vaut mieux tout faire pour qu’elle soit fière de toi ? "

Allez-vous-en ! Je ne vous connais pas ! Je ne suis pas un ange !

Je tremblais comme une feuille… j’avais peur de paraitre pitoyable…mais en réalité, je l’étais déjà. Je refusais de croire que, dans ce monde, j’aurais pu ne pas vivre seule. Puis…ces bras. La sensation était pire qu’étrange. On aurait dit qu’à leur contact, mon corps allait s’arrêter. Autant mon cœur que mon cerveau. Je sentais qu’il me prenait. Que mon corps…non…ma conscience, s’arrêtait lentement. S’endormait.

" Ta sœur n’est plus là, et c’est un fait. Mais tu ne vivras pas seule. Accepte-moi. Je suis avec toi. Mais en retour, soit à moi. Soit mon parfait, Alice. "

Le…parfait…je n’y crois pas…mais je ne veux pas décevoir Dinah…je veux la revoir…

" Laisse-toi aller mon ange…tout va bien. "

En rouvrant les yeux, j’étais dans ma chambre avec le docteur et l’infirmière à côté. Et la fumée noire…n’était rien d’autre qu’un corbeau. La folie. Pourquoi un corbeau ? Peut-être parce que la mort me hante, qu’elle a déjà pris la moitié de mon âme, et qu’elle a encore faim.

Réveil. Sursauts. Pleurs. Amnésie.