Suite de ce sujet du point de vue cette fois d'Ellie




Roméo devant moi, je me dirigeais vers la chapelle. J’avais dit des choses horribles à Abel, quand bien même il les méritait… Non ! Ellie ! J’avais vraiment besoin d’y aller. Pourquoi n’étais-je pas venue là plus tôt ? Peut-être avais-je peur… Et peur de quoi, hein ? Je poussai la porte quand Roméo la gratta du bout de la patte. En entrant, l’odeur antique me fit l’effet d’un baume. Nos pas résonnaient sur les blocs de pierre aux bords arrondis par le passage de centaines de gens. Clac, clac, faisaient les semelles de mes bottes de travail. Clic, clic, faisaient les griffes de Roméo.

Connaissant mes habitudes, mon chien commença par me mener au bénitier, où je me signai, puis me tira jusqu’aux bougies. En prenant bien garde de ne pas me brûler, j’allumai la mèche de l’une d’entre elles. Là où je fis un bêtise, c’est quand je dus déposer la bougie au milieu des autres. Je passai la main au-dessus des flammes pour tenter de détecter un endroit vide de chaleur, et donc de bougie. J’en trouvai beaucoup, et en pris un au hasard. Alors que je déposai le petit pot qui contenait ma bougie à moi, j’eus le malheur d’approcher ma main trop près d’une autre flamme. Je sifflai de douleur, mais posai mon don calmement. Dès que ce fut fait, je remarquai qu’il y avait une odeur de brûlé dans l’air.

Je crispai ma main contre mon flanc, puis contre le sol glacé. Un soupir m’échappa. Ce froid contre ma brûlure était un véritable bienfait. Quand la douleur s’atténua un peu, je me relevai et marchai avec Roméo jusqu’à un banc libre. Je m’y assis, et mon chien se coucha à mes pieds. Je pris plusieurs longues respirations avant de songer à parler. Je voulais calmer mes nerfs, penser à autre chose, me vider la tête. Je déglutis et me mordis la lèvres, les poings serrés et posés sur mes genoux. J’avais failli. J’avais échoué, fait n’importe quoi, j’avais usé de violence.

Pardonnez-moi mon Père, car j’ai péché. En pensées, en actes et en paroles, pensai-je.

Roméo geignit et me donna un coup de museau. Lui aussi savait à quel point j’étais mal à l’aise. J’imaginais difficilement ce que devaient penser de moi les autres gardiens. Me considèreraient-ils comme accomplie, parce que je m’étais imposée face à un détenu ? Ou me verraient-ils comme une lâche susceptible qui piquait une crise dès qu’on la titillait ? Non, je refuse. Je refuse d’être… ça. L’odeur des bougies qui se consumaient avait le don de m’apaiser. Un peu. Et, avec la respiration régulière de Roméo, par terre, je retrouvai rapidement le contrôle de mes pensées. Je poussai un long soupir, synchronisé par un merveilleux hasard sur celui de Roméo. Je caressai son dos soyeux pour finir de calmer mon cœur. J’avais usé de violence.

-Qu’as-tu fait, Ellie ?

-J’ai péché.

-Qu’as-tu fait ?

-J’ai protégé mon patrimoine. J’ai protégé mes souvenirs.

-Exact. Tu t’es protégée.

-Mais j’ai répliqué ! Je… je…

J’enfouis mon visage dans mes mains, pour que le regard inquisiteur de Roméo ne m’atteigne plus. Il se leva et vint se frotter contre mes bras, les écartant grâce à sa truffe. J’abandonnai ma futile résistance et enroulai mes bras autour de son cou puissant. Il se colla à moi et ne bougea plus, se satisfaisant de cette étreinte. Puis, très vite, une larme en entraînant une autre, je commençai à inonder son épaisse fourrure de perles humides et salées. Il avait l’habitude, mon brave Roméo. Après la mort de mon père, j’avais souvent pleuré somme ça, sur lui. Là, sa respiration rapide et les mouvements presque imperceptibles de son museau me signifiaient que lui aussi était triste. Je câlinai ses oreilles, si douces et pelucheuses, descendis sur son crâne, massif et réconfortant, dessinai les contours de sa tête, avant de revenir à la position de départ, les bras autour de son cou. Roméo me donna un coup de nez. Encore, disait-il. Avec un sourire mental, je recommençai. Encore, encore…

J’étais totalement rassérénée quand je réussis enfin à lâcher mon chien. Comme toujours, il avait réussi à me calmer, même dans mes pires moments. Je déposai un baiser sur sa tête avant qu’il se recouche. Je m’adossai à la planche raide qui servait de dossier au banc dans un long soupir. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », et ce que je ressentais pour Abel était bien loin même de la pitié. Il m’avait mise en colère, m’avait pris ce à quoi je tenais le plus. Ma croix, celle que m’avait offerte mon père. Alors, non, je ne l’aimais pas comme je m’aimais moi-même. En fait, en ce moment, je me détestais, même si Roméo me soutenait de sa présence bienveillante. « Tu ne tueras pas ton prochain ». Je n’avais pas enfreint ce principe, mais j’ai tasé le détenu muselé. J’enfonçai mes ongles dans les paumes de mes mains à ce souvenir. Quelle horreur. Je me remémorai la sensation de mon doigt sur la gâchette, quand j’avais appuyé…

Pardonnez-moi mon Père, car j’ai péché…