Je réajuste le pansement de fortune à ma main en râlant. Rien que le fait de tenir ce crayon me fait un mal de chien, et ce n'est pas avec les trois gouttes de désinfectant et un bandage qui ne tient pas que les choses s'arrangent. Pourtant, j'ai bien regardé, l'infirmerie contient de bons produits, mais quand les médecins voient ton dossier, ils n'ont pas spécialement envie de te soigner convenablement. De plus, des détenus blessés étaient déjà là depuis la veille, certains dans un piteux état. Enfin, je ne saigne plus, c'est déjà ça. Je préfère largement faire couler le sang sur les autres que sur moi-même.

Le D5087 est à l'autre bout de la table, plongé dans un bouquin. « Tortuga », un livre relatant l'histoire d'un bourgeois embarqué dans une histoire de pirate. Il ne semble pas se rendre compte de ma présence et demeure dans son monde, parfois il lève la tête et lance un regard méprisant à quelqu'un, ou alors il cherche un peu des histoires aux autres mecs. L'attitude typique du grand nombriliste qui se sent supérieur et invincible.
Bien que je sois juste en face de lui, il ne m'a pas remarqué. Je peux être très doué pour me fondre dans le décor. Quelques bouquins autour de moi, un tas de feuilles en vrac, et l'affaire est dans le sac.

Je replonge mon nez dans mes brouillons. Trois feuilles : l'une mettant en évidence les détails du visage, une autre, les expressions qui correspondent le mieux au personnage et la dernière, un portrait, de face, neutre. Je gribouille un peu sur les trois feuilles, rajoutant des détails au fur et à mesure, gommant des traits qui ne me conviennent pas. C'est un travail qui demande de la concentration, et un certain coup de crayon je l'admet. Mais avec ma main qui me lance à ce point, difficile d'avancer, et en une heure, j'ai fais ce qu'en général j'accomplis en trente minutes.

Des cheveux blonds, tirant sur le blancs, très courts, un visage carré, mature, avec de petits yeux gris qui n'expriment rien, excepté un air de défi continuel. Un nez épais, sûrement cassé dans le passé, et une petite bouche qui se tire vers le bas. Je me demande depuis combien de temps il n'a pas sourit. Il doit avoir … vingt-neuf, peut-être la trentaine passée.

Imagine-le … Sa cicatrice, tu vois, qui lui barre le visage … Imagine-toi en train de la rouvrir, de tout son long, et de laisser le sang s'écouler sur sa face. Son cri qui s'élève, ses mains qui cherchent à te détruire ...

Je souris. L'envie de le dessiner mort, lacéré et ensanglanté me prend, comme à chaque fois. Ce serait plutôt cool de le mettre dans sa cellule et d'imaginer sa réaction en voyant son cadavre sur papier. Je suis sûr qu'il le déchirerait aussi sec, et déboulerait comme une furie dans le couloir en hurlant que s'il retrouve l'enfoiré qui a fait ça, il le massacre. Tellement prévisible.
Je l'ai déjà fait, une ou deux fois. Malheureusement, ces dessins se retrouvent vite au commissariat, et je déteste que tout le monde voit mes créations. C'est pour ça que je garde pour moi tout ce que je fais. J'en ai besoin. Une fois mes portraits terminés, je peux d'ores et déjà affirmer que les personnes représentées peuvent faire une croix sur leur existence.

L'homme referme son livre, se lève en l'abandonnant sur la table et fait mine de quitter la bibliothèque. Un gardien le rappelle à l'ordre et l'oblige à aller ranger le bouquin où il l'a prit. D5087 s'indigne, insulte copieusement son opposant, mais obtempère. Un petit rire m'échappe alors que je l'observe discrètement. Pauvre type. Il finit par sortir d'un pas indigné.

Je commence à ranger un peu le bordel que j'ai mis autour de moi. Plus d’intérêt à être ici. Aucun ordinateur, aucune télé, je ne tiendrais pas vingt ans dans cette prison de merde.

Une fille s'approche de moi. Une fille ? Tiens il me semble pas en avoir vu beaucoup ici. Et encore moins une fille avec des cheveux blancs. Bizarre. Elle a l'air complètement paumée. En même temps, ici, nous sommes tous plus ou moins perdus. Si je n'avais pas suivi D5087, je n'aurai jamais pu trouver la bibliothèque.

Un livre ! Un livre ! Je vais chercher un livre ! Youpi !! J’avançais dans les couloirs et suivais le panneau ‘’bibliothèque‘’. On va essayer de ne pas se perdre les premiers jours quand même…

" Alice…tu viens de louper la porte de la bibliothèque. "

…Ah… J’eu un gros vide dans mon esprit. Je m’arrêtai et fis demi-tour. Monsieur corbeau était décidément plus alaise avec l’orientation.
En tout cas, je ne sais pas si je trouverais ce que je cherche là-bas. Des contes de fées…je ne sais pas si ça existe en prison.
En regardant les différentes rubriques, je vis un livre dont l’auteur était les frères Grimm. Et d’autres encore tels que du…Maupassant ? Victor Hugo ? Euh…quoi prendre… Bon et puis ZUT ! Je pris pas mal de livre au hasard. Essayons de repérer une table. …Là ! Une table avec juste deux personnes.

Je m’approche les bras encombrés. Ce n’est pas comme si j’avais un peu trop de choix dans les bras. Il me faut trier tout ça. J’ai hâte d’aller voir grande sœur pour qu’elle me lise une histoire. Hâte de la revoir tout cour ! Parce que c’est une très gentille grande sœur !

" Désolé de te couper petit ange. Mais regarde, ce gars-là a l’air fort. Révision très chère. Qu’est-ce qu’il se passe quand on est face à un homme plus fort que soit ? "

On…on ne reste pas à coter et on reste méfiant parce que s’il nous attaque ce n’est pas gagné d’avance.

" C’est bien, ce n’est pas parfait, mais c’est bien. Cherche une autre place. Peut-être près de ce jeune homme. "

Oui et puis y a de la place. (A vrai dire monsieur Corbeau n’aime pas trop les zones avec des gens car ils ont presque tous un corbeau…et il a envie de les attaquer. Bref reprenons !) …Tiens, le jeune monsieur sait dessiner ? Je me penchais un peu pour voir ce qu’il dessinait.

« Un problème ? »

" Grillée Alice. "

« Hein ? Euh…n..non non c’est que…euh…j…je… »

Un léger déséquilibre, mes bras qui lâchent et pouf…tous les livres au sol ! Oh non...j’espère qu’ils ne sont pas abimer…et j’espère aussi que l’un d’entre eux ne soit pas tombé sur le pied du détenu qui c’était lever en me posant cette question qui me fit sursauter.

" Hé ben ! Si tu sursautes dès que quelqu’un te pose une question. Tu es peut-être un peu trop sur la défensive. Mais je suis content, le parfait vient. "

Sans comprendre vraiment les mots de monsieur Corbeau, je me mis à ramasser les bouquins un par un. Une des feuilles d’un des bouquins m’entailla le doigt. Aïe… Je fixais le livre : Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll. Un livre avec mon prénom dedans ? Le personnage principal n’a pas les cheveux blancs au moins. Je m’empressais de finir ma pile, la reprenant. Le monsieur avait un regard étrange…ah euh oui euh sa question…

« J…je…c’est juste…ce que vous dessiniez…cela m’intriguait monsieur…et je…je me demandais…ce que c’était…après hum…si c’est personnel je comprendrai…c’était juste hum…comment est-ce qu’on appelle ça…la…euh le…la…le…hum…la euh…curiosité ?...Le dicton dit que la curiosité est un vilain défaut….mais c’est étrange parce que dans les boutiques y a pleins de choses qui tapent l’œil et qui intriguent puis les gens achètent… Et en plus pleins de gens sont curieux, mon papa et ma maman m’avaient dit que si Léonard de Vinci il n’avait pas été aussi curieux on serait tous idiot !...Et puis il dessinait très bien apparemment… Vous avez pris des cours ? C’est de naissance ? … »

Je me stoppais un instant… Oups…j’ai encore divagué…

« Excusez-moi…je parle trop…et m’égare souvent…même pour venir ici j’ai failli me perdre… »

Elle n'a même pas réalisé que je la fixais depuis le début. Complètement paumée la gamine. Et légèrement sans gêne, aussi, mais ce n'est qu'un détail. J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle regarde carrément mon travail, surtout aussi proche de moi. Ces longs cheveux m'ont chatouillé le visage, mais une fois de plus elle n'a pas du tout réalisé. Ma voix semblait l'avoir surprise au plus haut point, comme si je la sortais de son monde. En même temps, il suffit de voir les bouquins qu'elle tenait pour se rendre compte qu'elle n'est pas spécialement ancrée dans la même réalité que moi.

Je jette un rapide coup d'œil à l'entrée de la bibliothéque. D5087 n'est plus dans mon champs de vision. Tant pis, de toute manière j'ai tout mon temps.

La fille aux cheveux blancs ramasse tout ses livres en bégayant doucement, tellement doucement que je tends un instant l'oreille pour saisir ses paroles. Et c'est simple, ce qu'elle dit pourrait tout bonnement sortir de ma bouche tant c'est incohérent, à la seule différence, c'est qu'elle ne le fait pas exprès. Sa peau est passée de blanche à rouge tomate. Un sourire moqueur étire mes lèvres.
Je l'écoute patiemment. Pas difficile de la cerner : il suffit de voir ces grands yeux candides et son visage de poupon pour se rendre compte qu'elle est perturbée mentalement. À vrai dire, c'est plutôt étonnant de la voir portant l'uniforme des détenus. Une folle qui ne contrôle pas ses pulsions ? Une fillette battue par ses parents, qui s'est finalement vengée ? Une gamine pyromane ? Qui tue des animaux ? En fait, je m'en moque. Mais c'est amusant.
Elle se redresse finalement, confuse, et met son indexe, d'où perle une petite goutte de sang, dans sa bouche.

- Excusez-moi … Je parle trop … et m'égare souvent … même pour venir ici j'ai failli me perdre ...

Et alors ? Moi aussi, et je ne m'excuse pas pour autant.
Alors que je m'attendais à ce qu'elle fasse demi-tour et qu'elle me laisse tranquille, elle se plante devant moi et ne bouge plus. Son regard passe à travers moi, comme si elle était subitement dans ses pensées. Je ne détache pas mes yeux d'elle, mais ne ressent aucun plaisir à la voir aussi mal à l'aise. C'est trop facile, il n'y a aucun accomplissement, aucune évolution.

- Non je n'ai pas pris de cours, ça vient tout seul, c'est l'inspiration, répondis-je finalement.

De toute manière, je ne vois pas l’intérêt de déblatérer tout un tas de futilités avec elle, je pense qu'elle y arrive assez bien toute seule. Je suis limite certain qu'elle ne se souviendra même pas qu'elle m'ait rencontré. Trop de trucs ont l'air de se mélanger dans sa tête.
Je range néanmoins mes croquis dans une petite pochette et me la glisse sous le bras. Puis j'empile les livres empruntés. Je les ai tous choisi au même endroit, plus simple pour les ranger.

Le garçon aux cheveux noirs continuait de me fixer. Puisque c’est ça, je vais le dévisager, na ! Quoi que…je n’aime pas qu’on me le fasse, et je ne sais même pas comment on fait. Euh…le décrire. Si c’est ça, c’est simple. Il ne se tient pas trop droit…s’il avait vécu à l’orphelinat, il aurait été corrigé très très fort !
Bref, autre chose. Ces cheveux rebiquent comme s’il ne c’était pas coiffer depuis…depuis…ou alors il a juste les cheveux en pagaille en fait…. Regardons plus précis ! Ses yeux sont tout noir et il a…euh…des fosses sous les yeux ? Raaa si j’avais eu un dictionnaire, je m’en serais souvenu de ce mot ! ….je suis nulle pour faire la critique de quelqu’un…
Enfin… Il n’a pas l’air d’un artiste. Lecteur ? Lecture…ça y est je sais ! Il me fait penser à L ! Un personnage de manga. Je crois que celui-ci s’appelait…Death Note. Le carnet de la mort…glauque…

« Non je n'ai pas pris de cours, ça vient tout seul, c'est l'inspiration. »

Il se leva avec ses affaires. Hé mais…attendez ! Je veux en savoir plus ! Je le suivis dans les rayons. Ses bouquins…ils sont bien ?

« C’est quoi comme style de livre ? C’est intéressant ? Ça parle de quoi ? »

Il rangea les blocs de papier à leur place. En regardant de plus près les étagères, elles étaient toutes abimées et moisies. … À quoi est-ce qu’il pense ?

« Dites…vous croyez aux contes de fées ? Vous vous y connaissez ? Vous pensez pouvoir m’aider à choisir ?... »

" Quoi ? Alice regarde le bien, ce n’est pas le genre de personne à qui l’on peut demander des conseils ! "

…Hein ? Mais…pourquoi vous avez changé d’attitude monsieur Corbeau ?... Qu’es qu’il se passe ?... Ce garçon à l’air gentil pourtant. Un peu froid et distant certes, mais gentil. Vous ne trouvez pas ?

" Pas du tout Alice, mais vraiment pas du tout. Ce garçon possède un corbeau qui me déplaît. Regarde au-dessus de l’étagère et tu comprendras. "

Je dirigeai mon regard là où monsieur Corbeau l’avait dit. Des flammes ? C’est un corbeau…en flamme ? Sur le coup, je pensai à crier au feu, mais à quoi cela servirait ? Le corbeau en question avait l’air de ne pas souffrir. Il est lié au garçon ?
Le corbeau braise alla se poser sur son épaule. Aucun doute à présent. C’est bien son corbeau. Mais pourquoi donc a-t-il des flammes autour de lui ? Peut-être que...

« C’est normal que votre corbeau ait des flammes qui tournent autour de lui ? Il vous ai arrivé quelque chose de grave ? »

…C’est peut-être en lien avec sa vie. Euh…pourquoi il me regarde comme ça ? Je ne suis pas folle. Enfin…apparemment si mais je ne vois pas où est le mal, je blesse personne moi-même, et je ne me blesse pas non plus moi-même.

- C'est quoi comme style de livres ? C'est intéressant ? Ça parle de quoi ?
- Aucune idée.

Je remet docilement chaque bouquin à sa place. Derrière mon dos, je sens la présence de la gamine qui m'observe. Que veux-t-elle, au juste ? Elle ne peux pas aller voir quelqu'un d'autre ? Ce ne sont pas les détenus qui manquent, ici. Elle ne semble pas décidée à me lâcher.

- Dites … vous croyez aux contes de fée ? Vous vous y connaissez ?

Je me tourne vers elle. Les contes de fée, ça fait bien longtemps que j'ai cessé d'y croire. Avant, je m'enfermais dans ce monde imaginaire, mais il m'a fallut faire des choix, et maintenant, je vis dans un film d'horreur où le tueur sadique qui massacre ses victimes sans raison n'est autre que moi.

- J'ai quelques connaissances, rien de bien méchant, je réponds en haussant les épaules.
- Vous pensez pouvoir m'aider à choisir ?

Le bibliothécaire est pourtant là pour cela, non ? J'ai vraiment une tête à lire des bouquins, franchement ? Enfin, cette fille est plutôt bizarre, elle m'a l'air naïve et insouciante. Ça m'arrive rarement de rencontrer des gens comme elle, qui paraissent tout doux, tout gentils. À côté de moi, elle semble briller, toute blanche qu'elle est. Exactement mon contraire. Genre, black and white, ou un truc comme ça, quoi.
Je m'accroupis vers la lettre « B », et passe mon doigt sur les livres exposés, à la recherche d'une œuvre bien précise.
« J.M Barrie – Peter Pan »
Je saisis le bouquin et me tourne de nouveau vers la jeune fille. Ses grands yeux fixent quelque chose à côté de moi. Elle fronce ses sourcils, et je ne peux m'empêcher de regarder dans la même direction pour savoir ce qui l'intrigue.

- C'est normal que votre corbeau ait des flammes qui tournent autour de lui ? Il vous ait arrivé quelque chose de grave ?

Décidément les gens me surprennent de plus en plus ici. Je jette un bref regard autour de moi, cherchant la moindre petite flamme qui m’amènerait  sur la piste d'un animal carnassier. Est-ce qu'elle délire ? Des hallucinations, peut-être. Pourtant, elle paraît réellement étonnée que mon « corbeau » soit comme cela.
Je ressers le livre contre ma poitrine et m'appuie contre la bibliothèque :

- Pourquoi, il ne devrait pas ? Le tien est comment ?

Je ponctue ma phrase d'un petit sourire de défi. Elle ne peut pas se prendre au jeu, puisqu'elle y croit dur comme fer. Mais rien ne m'empêche de me plonger dans le même délire qu'elle. Je lui tends le bouquin:

- Je ne sais pas si tu l'as déjà lu, mais personnellement, je l'ai beaucoup aimé. Au delà du personnage insouciant et léger de Peter, on peut découvrir une personnalité beaucoup plus sombre. Il faut savoir lire entre les lignes.

- La curiosité est un vilain défaut monsieur. Je le suis aussi rassurez-vous. Mais qui sait, la votre pourrait vous rendre fous.

Euh…qu’est-ce que je viens de dire là ?! J’ai vraiment parlé avec cette voix ?! Olala…olala…ça sent pas bon, j’ai fait une bêtise… ça va tourner à la vinaigrette…
Zut…qu’es qu’il a dit sur Peter Pan ? Raaaaa, je n’ai pas écouté en plus ! Qu’est-ce que je vais faire ?! Aller, aller, souviens-toi !     …

J’eu un grand moment de solitude, un « blanc » dans mon esprit. Des doutes, des peurs. Frustration totale… MAIS PORQUOI JE ME SOUVIENS PAS DE CE QU’IL M’A DIT ?!

"Pauvre pitchounette… Il n’a rien dit d’intéressent de toute manière. Et sa manière de défier est…originale. Tu ne veux pas aller jouer un peu Alice ?"

Mais…il doit m’aider à choisir un livre !

"Oublie ce fichu livre. Celui qui t’a entaillé le doigt ira très bien. De plus, il porte ton nom."

Attends alors…s’il te plait.
Je pris le livre du nom de Peter Pan et le comparais avec Alice au pays des Merveilles. la couverture ne me renseigne pas vraiment en fait...rien à décrire.

- Vous pensez que c’est lequel le mieux ?

…Lequel le mieux…quelque chose me dit que ce n’est pas du tout correct.

- …Pardonnez si monsieur Corbeau vous a offensé. Il pense que vous le défiez et il est très joueur. Une fois, il a pendu une fillette par les pieds parce qu’elle disait que mes chaussures étaient moches, alors qu’elles étaient identiques aux miennes. En fait…je ne pense pas vraiment avoir compris pourquoi il l’a pendu par les pieds. Peut-être parce qu’elle m’avait écrasé le pied et salit ma chaussure…ou peut-être parce qu’elle était…euh…je sais plus comment on dit ça, quand une personne vous fait mal parce qu’elle veut quelque chose que vous avez et qu’elle aime tellement qu’elle vous le casse parce qu’elle ne veut pas que vous l’aillez…

Le regard du monsieur aux cheveux noirs était…comment dire…perdu ?

"Tu commences vraiment fort Alice. Après ton monologue, je doute qu’il ait l’envie de t’aider…mais peut-être voudra-t-il en savoir plus et jouer lui aussi. Pourquoi pas. Tu ne penses pas petit ange ?"
…Je n’ai pas d’avis…
Sursaut. Un sourire…ce sourire…le monsieur…a vraiment l’air de vouloir jouer...ou alors c’est moi qui l’amuse… Son corbeau s'agite. Flammes dansantes.
Je tremblais. L’ai-je énervé ? Ou alors…veut-il jouer ?

Sa phrase me laisse perplexe un instant. C'est elle qui vient ma poser des questions, et elle me dit ça ? D'autant plus que je ne suis vraiment pas curieux. C'est simplement une façon de combler un vide, ou de titiller une personne. Effrayante, la gosse. Sa voix est descendue de deux octaves, et son visage est devenu, l'espace d'une seconde, le sosie de celui de la poupée Chucky. D'autres expressions se teintent sur sa face, passant un instant de l'incompréhension, à la soudaine peur. J'ai rien dis, pourtant. Elle n'aime pas Peter Pan, peut-être.
Finalement, elle me prend le livre des mains, le met prêt de celui qu'elle tient déjà :

- Vous pensez c'est lequel le mieux ? Demande-t-elle d'une toute petite voix.

Mais avant que je n'ai le temps de répondre, elle relève le tête et plonge ses yeux candides dans les miens :

- Pardonnez si monsieur Corbeau vous a offensé. Il pense que vous le défiez et il est très joueur. Une fois, il a pendu une fillette par les pieds parce qu'elle disait que mes chaussures étaient moches, alors qu'elles étaient identiques aux miennes. En fait … Je ne pense pas avoir compris pourquoi il l'a pendu par les pieds. Peut-être parce qu'elle m'avait écrasé le pied et salit ma chaussure. Ou peut-être parce qu'elle était … euh … je sais plus comment on dit ça, quand une personne vous fait mal parce qu'elle veut quelque chose que vous avez et qu'elle aime tellement qu'elle vous le casse parce qu'elle ne veut pas que vous l'ayez ...

Je lève un sourcil dubitatif. Quoi ? Elle avait tout déballé sans reprendre son souffle, les joues rouges, comme si elle avait dit une bêtise. Hum, alors comme ça un certain monsieur Corbeau peut s'avérer être violent ? Intéressant. Je n'ai aucunement l'envie de me battre, mais … ça pourrait être utile. Si ce qu'elle dit est vrai, bien sur. Si j'essaie de faire le point sur ce qu'elle me dit, soit elle connaît un espèce de mec trop badass et sans cœur au point de pendre une gamine par les pieds, soit ce mec, c'est elle. Ce qui serait aussi possible. Une gamine aussi pure qu'elle, en prison, ne peut être normale mentalement.
Une sourire étire légèrement mes lèvres. Elle paraît bien plus intéressante qu'il n'y paraît.

- Je préfère Peter Pan, dis-je en désignant le livre du menton. Après, rien ne t'empêche de lire les deux. Je ne parle plus de ton très cher monsieur Corbeau, apparemment ça a l'air de t'énerver. Mais, si tu as envie de te confier, je suis une oreille très attentive. Si tu as besoin d'aide pour quoique ce soit, appelle grand frère Neil.

Elle m'intrigue, je n'y peux rien. Et puis, j'aimerai bien savoir à quoi ressemble ce monsieur Corbeau. Si en plus, elle a vu que des flammes dansaient autour de moi, c'est encore plus impressionnant. Aurait-elle une sorte de don ? Ou simplement une intuition ? C'est probable.

- Je préfère Peter Pan. Après, rien ne t'empêche de lire les deux.

...Mais quelle idiote ! Je peux en choisir plusieurs ! …Autant tous les lire si c’est comme ça !

- Je ne parle plus de ton très cher monsieur Corbeau, apparemment ça a l'air de t'énerver. Mais, si tu as envie de te confier, je suis une oreille très attentive. Si tu as besoin d'aide pour quoique ce soit, appelle grand frère Neil.

Me confier ? Comme avec Madame Ayame ? Cela pourrait être gentil. D’ailleurs peut-être l’est-il, gentil. Qui sait. Il n’est pas trop imposant non plus, un peu maigrichon…non j’exagère un peu quand même. Seul petit bémol…

"Impossible de se confier à une personne possédant un tel corbeau. Trop dangereux Alice."

…Pourquoi c’est dangereux monsieur Corbeau ? Il a pourtant l’air sympathique, malgré son corbeau un peu terrifiant…

"Petit ange…je crois que je vais devoir t’apprendre certaines choses concernant ce que tu vois. Dis-moi, à quoi te font penser les flammes ?"

Hmmm…aux bougies ?

"Mais encore ?"

Et bien…aux feux de bois ? Feu de camp ? Briquet ? Brulure ? Chemi…

"Alalala…Alice…laisse-moi lui parler un peu s’il te plait ma chère…Tu comprendras en même temps que ce garçon."

Mais je…

"Alice. Va jouer."

…

Je ne puis m’empêcher de prendre son contrôle, juste assez pour parler, car au fond, il n’a rien dit de méchant. Mais j’en ai envie c’est tout. Encore cette douce sensation…je m’esclaffai tout de même de rire. Ce garçon a un de ces toupets ! Cela en devient presque hilarant.

« Vous ? Un grand frère ? Vous voulez rire ! Vous êtes à peine crédibles. , dis-je en recommençant mon rire quelque peu sinistre. Jamais vous ne serez son grand frère. Et vous savez pourquoi ? »

Je le laissais cogiter. Peut-être n’a-t-il pas compris, je vois certaines choses que j’enseignerais bien vite à Mon petit Ange. Sous un fort stress ou une forte envie quelconque, les humains ont des petits reflex assez discrets, mais visibles. Je vois ces petits gestes légers. Ça en dit long sur quelqu’un d’ailleurs, comme cette psychologue morte de peur qui n’arrive pas à le cacher. Ou les autres détenus que j’ai pu remarquer avec leurs manques de certaines drogues surement. Et toi petit, tu n’es pas autre chose qu’un simple humain. Alors viens me voir, c’est ton tour.

« Tchac. Tchac. »

Je faisais le même mouvement que lui. Vu que ce tic vient de t’apparaître, je suppose que tu veux en savoir plus. Mais moi aussi petit.

« Briquet ou allumette ? »

Rien que pour m’amuser, je rajoutai à la suite un autre mouvement de doigts.
Flûte. Deuxième tic.

Son expression se modifia, et son visage innocent laisse définitivement place à la mine inquiétante que j'ai entre-aperçu tout à l'heure. L'iris de ses yeux se dilata, prenant pratiquement toute la place dans ses pupilles claires, et j'eus un imperceptible mouvement de recul en l'entendant rire sinistrement. Un rire pas du tout enfantin, au contraire paraissant bien trop mature, bien trop … bien trop. Surtout pour une fille comme elle.

- Vous ? Un grand frère ? Vous voulez rire ! Vous êtes à peine crédible ! Jamais vous ne serez son grand frère. Et vous savez pourquoi ?

« Son » grand frère ? Je fronce les sourcils, à la fois surpris et sceptique. A-t-elle un problème de dédoublement de la personnalité impressionnant ? Entendrait-elle aussi une voix, mais qui, d'une façon que j'ignore, serait plus puissante et beaucoup plus présente que la mienne ?
Pourtant, j'ai tenté de ne pas être moqueur, mais je dois avoir la tête de l'emploi, et tout ce que je dis est toujours compris de travers, ce n'est pas nouveau.
L'étrange jeune fille lève une main devant elle, à hauteur de son visage, et fait un geste que je ne connais que trop bien. Je sens mon visage perdre toute couleur, et le sang se figer dans mes veines.

« Tchac. Tchac. »

Tues-la. Maintenant, sans réfléchir. Vite, avant qu'elle ne continue sur sa lancée.

« Briquet ou allumette ? »

Brise lui la nuque, et pars. Fais-lui ravaler son expression effrayante.
Comment sait-elle cela ? A-t-elle lu mon dossier ? Est-ce qu'elle m'espionne ? Mon corps s'emplit d'une chaleur douloureuse, et mes mains commencent à trembler légèrement. Ne te laisse pas déstabiliser par cette gamine, Neil. Elle a seulement déduit cela, ou alors, elle a juste supposée, tapant dans le mille avec une précision exceptionnelle. Qu'est-ce qu'elle veut, exactement ? Comme Ombrage, que je perde le contrôle et que je me jette sur elle ? Est-elle forcée de me faire penser à mon frère ? Son souvenir est l'une des pire douleur que je peux ressentir, et le revoir, couvert de flammes, par ma faute, ça me donne envie de … de ….
Tu ne regrette pas la mort de ton frère, tu le sais. S'il est mort, ce n'est pas pour rien. Fais regretter à cette gamine ce qu'elle vient de te faire subir. Tu peux le faire, tu es bien plus fort qu'elle, même si elle affirme le contraire dans son regard.

Son geste change. Son autre main rejoint la première, et elle fait danser ses doigts dans le vide, miment le jeu de la flûte.

« Non, non, réveille-toi ! Allez, c'est pas drôle ! Bouge, fais quelque chose ! »

Tu le secoue, Neil. De toute tes forces. Mais il n'est plus qu'une marionnette inanimée. Et ses yeux, ils n'expriment plus rien. Même la colère qu'il ressentait pour toi il y a quelques secondes a disparu. Et là, tu te sens pitoyable. Aussi pitoyable que tu l'étais, tu as regardé son corps, pendant combien de temps ? Même toi tu n'es pas capable de le savoir. Tu espérais encore, de façon stupide et insensé, qu'il se redresse et éclate de rire, et que tout ça ne soit qu'une mauvaise blague. Mais non. Il est mort. Par ta faute.

Je me rattache au regard de défi de la jeune blonde pour ne pas me perdre dans ma tête. Lentement, je reprends mes esprits, avec difficulté, et lâche l'étagère sur laquelle je m'étais agrippé. Un goût acre me prend dans la bouche. Je me suis mordu à sang, encore une fois. La fillette m'observe, s'imbibant de chacune de mes réactions, prêt à anticiper la moindre attaque que je tenterai sur elle. Non, ce n'est pas elle, c'est certain. C'est quelque chose d'autre.
Je parviens à lui sourire. Un sourire d'amusement, comme un père sourirait en voyant sa fille accomplir une nouvelle tâche.

- Ça ne se joue pas comme ça, tu sais, lui fis-je remarquer. Seul le pouce de la première main bouge, l'autre n'est là que pour stabiliser la flûte. Mais je t'accorde que d'en jouer sans avoir d'instrument, c'est bien plus compliqué. C'est un bon début.

Les battements frénétiques de mon cœur se calment, doucement, et peu à peu, je sens le sang revenir à mon visage. J'ai bien cru que j'allais craquer, cette fois. Contrairement à ce que je pensais, il sera bien plus compliqué de me contenir à DearDeath. Comme si tout le monde s'était légué pour me faire péter un câble, pour que ma « folie » soit enfin montrée aux gens et qu'on m'enferme entre quatre murs. L'Enfer. Le vrai Enfer. Contenir ce que l'on est, alors qu'ils sont nombreux à vouloir me voir réellement.

- Et bien, conclue-je en m'étirant. J'espère que Peter Pan te plaira. Tu m'as l'air bien nerveuse. Je ne sais pas si tu as pensé à aller voir la psy, mais tu en aurais bien besoin.

Je me dirige vers la sortie, les mains encore tremblotantes. Mon sourire s'efface de mon visage. D5087.

Une musique…elle est joyeuse…douce…quoi que…légèrement nostalgique… Je me sens bien…ou du moins mieux…Mais dans ce cas…pourquoi je pleure ?... Douce boîte à musique…qu’as-tu ?
Au parc…encore… Tout se passe bien… Les attractions fonctionnent…pas d’accident…pas de bagarre… Mais je ne suis pas détendue pour autant…monsieur Corbeau joue surement dehors…avec Neil…mais il a rien fait… Je ne veux pas…que d’autre personne soit…dans des boites en bois…

« Ça ne se joue pas comme ça, tu sais. Seul le pouce de la première main bouge, l'autre n'est là que pour stabiliser la flûte. Mais je t'accorde que d'en jouer sans avoir d'instrument, c'est bien plus compliqué. C'est un bon début. »

…Neil ?... …de…la flute ?... Mais de quoi parle-t-il ?...
Pas longtemps après, je sentis une vague de colère. Autant de l’extérieur que de l’intérieur. En décalage. D’abord un autre corbeau, surement celui de Neil. L’autre, c’était monsieur Corbeau. Ce n’est pas bon…pas bon du tout… … Non…je ne veux pas danser…s’il vous plait…

« Et bien, j'espère que Peter Pan te plaira. Tu m'as l'air bien nerveuse. Je ne sais pas si tu as pensé à aller voir la psy, mais tu en aurais bien besoin. »

"Comment…comment il ose me tourner le dos ! Et me répondre comme si de rien n’était ! Espèce d’irrespectueux ! Tu me cherches et tu te défie au dernier moment ! Toi qui as voulu la guerre ! Tu abandonnes ?! Ou bien refuses-tu de montrer ta vraie nature ?! Reviens ici !! Tu vas voir sale…"

Stop ! Arrête ! Ne joue pas comme ça ! Tu deviens fou ! Arrête !!

"…"

Reprise de contrôle difficile. Vertiges. Vue trouble. Déséquilibre. Cocktail étrange.  Je m’agrippais aux étagères. Je sentais mes mains lâcher.  Je pleurais. Neil s’en allait. Je restais avec Peter Pan et Alice au pays des merveilles, m’effondrant au sol. Ma tête gonflait. J’avais peur. Peur de cette colère immense qu’il avait pu dégager. Je voulais m’enfuir de sa présence….mais je l’avais choisie. Pourquoi d’ailleurs ? Ah oui…elle…

« …Di…nah… »

Infirmiers. Encore.