On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu'on prend pour l'éviter.
Jean de la Fontaine

Aller accueillir un nouveau prisonnier, encore une fois ... Je finirais par croire que je n'étais là que pour ça. D'ailleurs, c'était pour cette raison que les gardiens commençaient à si bien me connaître.
Bref. McDaven m'ordonnais d'aller accueillir un aristocrate anglais. J'avais son dossier en main, mais je n'avais pas eu le temps de le lire, étant donné que l'on me l'avait annoncé avant l'heure officielle du lever, c'est-à-dire à six heures et quart ... de la même manière que j'avais été tirée de ma chambre à vingt-et une heures, la veille. Comment était-ce, déjà ? Clay .. Edward, peut-être ? Quelque chose de ce genre. Évidemment, la simplicité n'était pas le meilleur atout des anglais, de mon point vue. Pourquoi étaient-ils les seuls à rouler à gauche, par exemple ? C'était dénué de sens.

Je traversais donc la cour, avec un léger retard.
Appelée au saut du lit, il m'avait tout de même fallut le temps de m'habiller. Le soleil était encore en train de se lever, et je me pris à penser que la directrice abusait peut-être de mon éducation. Quand je passais la grille grinçante, le fourgon blindé qui devait amener mon nouveau patient était déjà là.
Je le vit descendre, d'un air parfaitement calme. Même de loin, je reconnu sa démarche ... narcissique. J'étais donc certaine de cela sans avoir lu son dossier.
L'un des gardiens le poussa devant moi avec violence, lançant qu'il n'en pouvait plus de ce cinglé et qu'il était content de me le "refiler", pour utiliser ses termes.
Ses longs cheveux bruns cachaient le visage du détenu ... mais quand il releva la tête, j’eus un mouvement de recul. Le dossier que je tenais en main, son dossier, tomba en éparpillant des feuilles à la volée. J’eus l'impression que le temps s'était figé ... quelques secondes me paraissaient des minutes entières. Si j'avais pu avoir un doute sur l'identité du nouveau venu, il était définitivement effacé.
Ce n'était pas son visage, ni ses cheveux, encore moins son corps ... mais j'aurais reconnu son regard entre milles, bleu et froid comme la glace. C'était le même regard qu'il avait, il y avait quatre ans ... j'avais manqué de tomber et il m'avait retenue. Je m'étais même accrochée à lui, me croyant prise d'un malaise. Ma tête tournais, j'avais chaud et froid en même temps. Et au lieu de faire quoi que ce soit, il avait sourit, me déposant lentement au sol. M’amenant contre lui, il avait pressé ses lèvres contre les miennes, alors que j'étais incapable de réagir. Paralysée par le poison qui s'insinuait lentement mais sûrement dans mes veines ... on dit qu'au moment de mourir, notre vie défile devant nos yeux. C'est faux. ce sont les meilleurs souvenirs, que l'on croit déjà perdus. Se penchant au creux de mon cou, mon meurtrier m'avait murmuré quatre mots. Juste quatre mots qui m'avaient glacés le sang : "Now you're mine."

Il esquissa un sourire dément, satisfait, qui ne me trompa pas. Il me ramena à peine à la réalité avant je ne me retrouve par terre, à demi-allongée et la joue brûlante. Incapable de prononcer le moindre mot, je levais juste les yeux vers lui. Sa main encore levée m'indiquait qu'il venait de défouler sa colère, et je pouvais presque sentir la marque de sa bague familiale sur ma joue. J'espère qu'on te l'enlèvera, ordure.
Au moins, cela fit réaliser aux gardiens qu'ils lui avaient enlevés les menottes trop tôt. Il ne faut jamais parier sur les manière d'un criminel, soit-il lord ou éboueur. L'un d'eux saisit vivement les mains du détenu, les ramenant de force dans son dos. Il se laissa presque faire.
Pour la première fois depuis longtemps, je sentis de la colère. Mêlée de peur, à tel point que je dû serrer la mâchoire pour n'insulter personne ... et m'aperçus du goût métallique du sang. Il m'avait ouvert la lèvre. Génial.
Je me redressais vaguement, en position assise, fusillant l'anglais du regard.

"Lord Clay ... Allesbury."

J'avais retrouvé son nom, à présent. Et à ma plus grande rage, cela le fit sourire. Je n'entendis rien, mais ses lèvres formèrent des mots. Je les devinais sans peine : "You're mine".
Je dû me faire violence pour soutenir son regard. Un gardien tendit la main vers moi, proposant son aide. Je l’acceptais volontiers, attrapant sa main pour me relever.

"Pourriez-vous le conduire à sa cellule ? demandais-je d'une voix un peu rauque. La deuxième."

Il hocha brièvement la tête, s’apercevant sans doute qu'effectivement, je n'étais pas en état de m'occuper de cette admission.