Dès l’ouverture des portes, je me glisse hors de ma cellule et me dirige vers la cafétéria, échappant ainsi à la présence de mes deux compagnons d’infortune. Ce n’est pas que j’aie personnellement quelque chose contre Bozo #1, drôle de personnage portant la muselière, et Bozo #2, snobinard sans signe distinctif, mais être enfermé plusieurs heures par jour avec les deux même personnages quand on n’a rien en commun fini par être lourd.

J’avale mon petit déjeuner, fais ma toilette, mets de l’ordre dans le peu d’effets personnels que je possède puis me dirige à la bibliothèque pour retourner le roman que j’ai fini la veille. La chose la plus dangereuse en prison, mis à part les prisonniers, est certainement l’inactivité. Je me force donc à garder une routine, une illusion de productivité. D’ailleurs, en parlant de productivité… j’ai bien un plan qui me trotte dans la tête. Mais pour ça, je devrai être en forme.

Je me dirige donc vers la cour extérieure. L’idée de m’entraîner à la salle de musculation ne me frôle même pas l’esprit. Pourquoi voudrais-je m’enfermer (sans mauvais jeu de mots) à l’intérieur quand je peux faire la même chose dehors? En plus, cela m’évite de croiser la foule un peu douteuse qui se masse autour des appareils de musculation en mauvais états.

Le temps est gris. Un vent froid ballait la cour, assez vide dans ces conditions. Moi, ça me va parfaitement. Je commence par un peu de course pour m’échauffer. Puis histoire de mettre du piquant dans ma vie, je me lance dans des exercices moins orthodoxes. On se distrait comme on peut. M’assurant d’avoir assez d’espace autour de moi pour ne pas frapper quelqu’un accidentellement, je me mets en équilibre sur les mains. Je suis un peu rouillé et je chancelle. Je veux voir combien de temps je peux tenir. Je me distrais de la fatigue qui gagne mes muscles en fixant mon attention sur des détails sans importances. La tête en bas, mes cheveux traînent presque par terre. La couleur de mes cheveux est presque la même que celle des combinaisons orange portées par beaucoup de détenus. Mon propre habit est gris. Je ne sais pas pourquoi. Parce que ça serait ridicule de me balader en one-piece de la même couleur que mes cheveux. De mon point de vue, je peux voir mes bras flotter dans mes manches d’une manière un peu ridicule. Apparemment que les gens qui ont conçu lesdits one-pieces ont supposé que les gens qui faisaient 6 pieds étaient tous des baraqués…

Avec une dernière pensée absurde et un dernier spasme de fatigue dans les bras, je bascule. Je tombe sur le dos et atterrit dans une roulade probablement peu gracieuse. Je reste assis par terre un instant, reprenant mon souffle, le regard dans le vide. Je ramasse la motivation de me relever et de faire autre chose…

De bon matin, je me levai d’un bond. Joie et bonne humeur. Absence totale de muselière sur le nez. En plus, j’avais des courbatures de partout après la leçon prodiguée par le chef Feilong, et c’était une douleur toute douce et très agréable. Je sortis de la cellule en fredonnant une chanson de mon enfance, et me dirigeai vers le réfectoire d’un bon pas. Pouf pouf pouf ! Joie et bonne humeeuur ! Je narguai les deux gardiens qui habituellement me surveillaient, du temps où j’avais encore ma muselière, et avalai rapidement le ptit dej. Basile faisait vraiment des trucs bons… Une chance que je sois arrivée après lui, même si j’étais pas difficile en matière de bouffe, c’était mieux de manger des trucs bons.

Une fois sortie du réfectoire, je déambulai un peu au hasard, laissant mes pas me mener à la bibliothèque pour bouquiner un peu. Je m’assis en tailleur dans un fauteuil et ouvris à la première page un roman policier.  Higgins Clark, Mary. Le livre s’intitulait Dans la rue où vit celle que j’aime. Au premier abord, ça a l’air tout gentil tout mignon. Sauf que non. J’avançais dans l’histoire à grands pas, presque persuadée d’avoir trouvé le coupable. Le jardinier, celui qui avait des trous de mémoires suffisamment conséquents pour faire de lui le meurtrier idéal, faisait un assassin parfait. Trop parfait. Il était improbable que ce soit lui, du coup. Je jetai un coup d’œil à l’horloge murale, et constatai que je traînais ici depuis près de deux heures. Pas que ça m’embête de continuer à bouquiner, mais j’avais besoin de bouger pour me sentir vivre. Je notai soigneusement la page dans l’idée de revenir plus tard pour finir le livre, puis me ravisai et l’empruntai. Je le ramenai à ma cellule et le cachai sous ma couverture.

Ensuite de quoi, je me dirigeai vers la cour. Il s’y passaient toujours des choses intéressantes. Aujourd’hui, il y avait un concours de force organisé dans un coin de la cour, sous la surveillance impassible de plusieurs gardiens armés. Actuellement, ils étaient deux assis face à face à une table, forçant tout ce qu’ils pouvaient pour abattre le bras de l’autre. Alala, le bras de fer… Je restai de longues minutes à les regarder se fixer d’un œil mauvais, forcer encore et toujours, faire saillir leurs muscles pour vaincre l’autre. Quelque part, c’était fascinant. Aucun d’eux ne lâchait le moindre pouce de terrain, et aucun ne semblait fatiguer. Mais bon, si aucun ne perdait, c’était beaucoup moins amusant… Je me lassai rapidement, par conséquent. Je lâchai un soupir ennuyé et m’éloignai. Cela brisa la concentration d’un des compétiteurs, qui leva la tête dans ma direction, et perdit la joute. Son adversaire écrasa son bras contre la table avec un cri de triomphe.

Le perdant renversa la table dans sa rage, et se jeta au cou de son adversaire. Immédiatement, les gardiens s’affairèrent à contenir l’émeute naissante. En effet, les détenus tentèrent de profiter de la bagarre pour régler quelques comptes qu’il avaient entre eux. Je m’éloignai du groupe, pour une fois pas très motivée pour prendre des coups. J’avais envie d’une journée tranquille, aujourd’hui. Alors que je faisais demi-tour, une main massive se posa sur mon épaule. Je me retournai juste à temps pour voir l’expression rageuse du propriétaire du poing qui fusait vers moi. J’aurais aimé l’éviter, croyez-moi, et ne pas avoir mal aujourd’hui. Mais visiblement, le ciel n’était pas d’accord. Je reculai sous l’impact et secouai la tête pour me débarrasser du sentiment d’étourdissement, puis reculai lentement. Je ne voulais pas chercher la merde aujourd’hui, peut-être plus tard, mais pas maintenant.

-C’est ta faute si j’ai perdu ! me lança-t-il.

Mais… Mais on s’en fout ! C’est pas grave de perdre ! Fous-moi la paix ! Je l’ignorai et continuai ma route dans l’autre sens, savourant malgré ce que j’avais dit précédemment la douleur de ma joue, celle qui avait pris le coup de plein fouet. J’allais probablement me retrouver avec un sacré bleu, demain… Mais bon, ça me changerait de d’habitude, où j’avais une jolie muselière qui m’empêchait de prendre trop de coups au visage. Je réagis seulement quand un bruit mou retentit derrière moi, et me retournai. C’était le détenu belliqueux qui avait été mis à terre par un gardien. Bah, rien à cirer. Qu’ils se débrouillent tous les deux. Bon, d’un autre côté, il se s’agirait pas que le gardien pense que j’étais à l’origine de la baston collective qui se déroulait pas loin…

Je décidai de migrer le plus loin possible, par exemple de l’autre côté de la cour. Il y avait un type qui s’amusait à faire le poirier là-bas, ça pourrait être marrant de discuter avec un pote acrobate. Je le rejoignis un peu après qu’il retomba très élégamment sur le dos. Je le regardai un instant pour savoir à peu près à quoi m’attendre quand je l’approcherai. Un mec grand, très grand, un peu comme Basile, mais en roux. Et borgne. J’allais m’approcher un peu plus, quand il se releva, me surprenant. Alors qu’il s’attelait à autre chose, avec visiblement dans l’idée d’échapper à la salle de musculation en intérieur, tant qu’il faisait encore un peu chaud dehors avant l’hiver (malgré le vent frais qui balayait la cour), je fis un pas en avant et pris la parole.

-C’était sympa ton poirier. T’as un bon équilibre, pour un mec si grand.

Oui, certes, je me moquais un peu. Mais bon, quand on est grand, y’a plus de choses à faire tenir en équilibre que quand on fait ma taille.

-J’ai un peu de mal avec la marche sur les mains, et j’ai l’impression que tu pourrais m’aider. Parce qu’autant je maîtrise les sauts, autant l’équilibre… Disons que ça fait un moment que j’ai pas grimpé dans un arbre ou fait la funambule sur une branche.

Je lui souris gentiment. Il n’avait pas l’air bien méchant, et j’étais quand même en train de le déranger, alors j’avais tout intérêt à être polie et bien élevée, quand bien même ce n’était pas pour mon éducation qu’on parlait de moi.

Assis par terre, le regard dans le vide, je reprends mon souffle. Je me dis que je devrais me relever, mais ce n’est pas vraiment comme si le temps pressait. Je n’ai rien d’autre à faire de la journée, et des autres qui suivront. De l’autre côté de la cour, il semble y avoir une bousculade. Une gamine se prend un coup de poing sur la gueule. Les gardiens interviennent. Ce n’est pas très classe tout ça…

Ça me déprime. Je détourne le regard, soupire, puis me relève enfin. À ma grande surprise, la gamine de tout à l’heure à trouver le temps de venir se planter devant moi. La joue encore rouge et un peu enflée du coup, elle ne semble pas le moins du monde troublée. Je la dévisage, ne sachant pas trop quoi penser.

-C’était sympa ton poirier. T’as un bon équilibre, pour un mec si grand.

Ouais, bon… Merci, je suppose. Je continue de la regarder avec un air neutre. Je suis comme vidé de volonté par les temps qui courent. Un effet secondaire de la prison…

-J’ai un peu de mal avec la marche sur les mains, et j’ai l’impression que tu pourrais m’aider. Parce qu’autant je maîtrise les sauts, autant l’équilibre… Disons que ça fait un moment que j’ai pas grimpé dans un arbre ou fait la funambule sur une branche.

Elle parle anglais avec un accent français assez prononcé. Ayant grandi au Manitoba, je parle l’anglais aussi aisément que le français, peut-être un peu plus en fait, mais je sais reconnaître cet accent sans aucun problème. Mon regard quitte la neutralité pour passer à un intérêt mitigé.

Elle veut que je l’aide à marcher sur les mains. Pourquoi pas? Ça passerait le temps…

Je la jauge encore un peu avant de répondre. Elle doit être à peine majeure, ou peut-être même pas. Je me demande ce qu’elle a bien pu faire pour se ramasser ici. Son âge me donne envie de la protéger, mais je me doute bien qu’elle doit être plus dangereuse que moi si l’envie lui en prend. C’est le cas de pas mal tout le monde ici.

- Je ne saurais pas vraiment comment t’expliquer. Mais si tu veux, je peux te surveiller et te rattraper si tu tombes…

Avec la différence de taille entre nous deux, je pourrai assurément l’attraper sans trop de difficulté.

J’ai parlé en anglais. Par habitude. C’est un peu stupide. Deux francophones dans une prison aux États-Unis qui se parlent en anglais. On fait une belle paire. Les deux on doit avoir un chemin de vie sacrément tordu.

- Tu parles français?

Ma langue fourche un peu. Mon français est rouillé. J’y entends une note d’accent anglais. Mais en même temps c’est réconfortant d’entendre ma langue maternelle, même si c’est ma propre voix. C’est un peu comme retrouver un petit bout de chez-soi dans cet enfer.

(aaaah, la reprise est duuure >< navrée, le post est pas tip top…)

J’avais l’impression d’avoir gaffé dans ma phrase, comme si j’avais oublié un mot ou que je m’étais plantée dans la grammaire, la conjugaison ou encore une de ces conneries. Pourtant, j’avais presque la certitude de pas m’être loupée… C’était bizarre. J’avais le sentiment, également, d’avoir fini par attirer son attention, allez savoir comment. Peut-être la jolie ecchymose sur ma joue ? Il est vrai que c’est le genre de chose qui marque les esprits. Pourquoi, d’ailleurs ? Parce que ça fait tache sur un visage ? Ou parce que, par principe de galanterie à la con, on tape pas sur les filles ? Je trouvais ça tout à fait ridicule, en plus. Parfois, un bonne baffe et puis le problème est réglé ! M’enfin bon…

Il eut l’air de considérer encore un peu la question de m’apprendre son tour d’équilibriste, me faisant me sentir un peu mal à l’aise, pour une fois. Moi qui prenait des décisions à toute allure, il me surprenait par son temps de réflexion… Bon, après, on me reprochait trèèès souvent de faire des choix à la légère, sur un coup de tête, mais bon, sinon je me sentais m’enliser dans des débats intérieurs inutiles et improductifs. Finalement, il me parle, et je me sentis rassurée. Je m’attendais presque à ce que… je sais pas, moi… à ce qu’il ne réponde même pas et m’ignore royalement. Peut-être que le contact des autres avait tendance à me rendre plus pessimiste et moins confiante en « le bon en chacun de nous »… Arrête de dire des bêtises, voyons, et concentre-toi.

-Mais si tu veux, je peux te surveiller et te rattraper si tu tombes…

Ah, pourquoi pas, oui, c’était une idée. Je cherchai du regard un endroit où poser mes mains quand viendrait le moment où je basculerai à l’envers (et éventuellement me casser la gueule, mais ça c’est secret…), mais m’interrompis. Ces mots… C’était agréablement familier, réconfortant. Je relevai la tête vers le rouquin et lui souris en hochant la tête.

-Yep. Je suis française. Angélique, pour te servir, ris-je en esquissant une caricature de révérence.

Je saisis l’occasion, ç’aurait été trop bête de laisser passer une perche pareille… Non, je retire ce que je viens de penser, ça fait une blague, rapport à sa haute taille… Oh puis merde.

-Et toi ?

Même si la façon dont il articulait ses mots laissait deviner qu’il utilisait l’anglais plus souvent, on sentait pourtant qu’il avait la langue dans le sang. Un bilingue ? Sympathique, en tous cas. Je sais pas vous, mais moi, il me faisait un bon effet. Je souris encore, sans savoir si c’était à moi-même ou à lui, que je regardais encore sans trop le voir. Blanche était sympa, mais ça faisait un moment que je l’avais pas croisée, et le français me manquait. Certes, j’avais vu Anne en salle de visite, mais c’était pas pareil, vu que je passais mon temps à la rejeter. Il allait d’ailleurs falloir que je règle ce problème au plus vite… C’était assez chiant de pas savoir d’où venait cette colère à son égard alors qu’elle avait toujours été gentille avec moi.

J’avais presque oublié la raison de cette discussion, grâce à cette meeerveilleuse faculté que j’avais d’oublier la moitié des trucs auxquels je pensais quand je m’attardais sur d’autres choses. Ne pas oublier qu’il était question d’apprendre à marcher sur les mains… Ne pas oubli… Et zut, c’était pas si important, puisque je venais de croiser le chemin d’un autre francophone. Mais bon, ça pouvait créer des liens quand même… Et puis on ne m’avait jamais louée pour ma capacité de réflexion, essentiellement parce que je ne l’aimais pas, cette capacité, préférant de loin taper avant de poser des questions ou de faire marcher ma tête. Quoique avec tous les gens manipulateurs présents dans cette prison, j’avais commencé à ralentir sur le sang chaud (au sens propre et au sens figuré, haha…) et forcer sur les cellules grises.

Donc, je me décidai à tenter le coup. Je ne savais pas si l’autre détenu allait me rattraper pour de vrai ou s’il avait dit ça par politesse, mais j’essayai quand même. Avec un peu d’élan, je posai mes main par terre et me retrouvai les jambes au-dessus du corps. Etrange sensation tout de même… D’autant que le sang me « montait » à la tête et que c’était franchement désagréable. En la secouant pour chasser cette impression, je perdis l’équilibre précaire que je peinais déjà à conserver. Alors que mes bras tremblaient légèrement, pas habitués à ce que je me serve d’eux ainsi, je sentis mes jambes basculer et m’entraîner dans le mauvais sens. Mobilisant tout mon corps, je tentai de retrouver l’équilibre, mais c’était déjà trop tard, et tout ce que je réussis à faire, c’est manquer de me péter le dos.

Et donc je tombais.

-Yep. Je suis française. Angélique, pour te servir. Et toi ?

Ahhh…  Une Française de France. Me voilà surpris. Ça fait un sacré bout de chemin pour se retrouvé ici.

- Moi, je suis canadien. Je viens du Manitoba, mais j’ai habité pendant longtemps au Québec…

Elle ne semble pas se passionner pour l’historique de mes lieux de résidence et m’écoute l’air totalement ailleurs. Comme j’allais dire autre chose pour meubler le silence qui s’installait, elle s’élance et se met en équilibre sur les mains. Elle tient quelques secondes avant de commencer à vaciller. Surpris, je la regarde sans rien faire alors que dans un dernier vacillement elle chute.

Par réflexe plus qu’autre chose, j’étends le bras et je l’attrape par la cheville avant qu’elle ne frappe le sol. Elle est légère, mais à bout de bras ça fait un bon poids à soutenir. Je la descends le plus doucement que je peux de manière à ce qu’elle se retrouve couchée sur le dos au sol. On ne peut pas dire que j’aie la trempe d’un entraineur de gymnastique, mais pour quelqu’un pris par surprise c’était probablement pas si pire… Elle ne s’est pas fait mal je crois.

Je lui laisse le temps de se relever. Tout en cherchant quelque chose à dire. À la fois je suis enthousiaste d’avoir trouvé une autre francophone, à la fois je suis encore sous le choc de voir cette enfant dans cet enfer. Elle semble si fragile. Elle est si jeune. Et elle a reçu un coup de poing donné par un homme adulte sans même avoir l’air vaguement dérangée. Elle n’a probablement pas besoin de mon aide, et elle est probablement beaucoup plus tordue et endurcie que moi, mais je ne peux m’empêcher de me sentir le désir de la protéger. Ça doit venir de tous mes beaux principes…

Toujours est-il qu’elle finit par se remettre sur ses pieds et que le silence s’étire.

- Ouais, bien… la prochaine fois tu avertiras. Un peu plus et je te manquais…

On ne gagnera pas le prix du plus beau discours avec ça, mais bon…

- Ça fait longtemps que tu es ici?

Tentative de faire la conversation prise 2. Avec un peu de chance, elle ne tombera pas dans la lune immédiatement cette fois. Peut-être qu’elle ne se sentira pas non plus le besoin de faire des acrobaties pour palier à la pauvreté de mon discours.

Elle m’intrigue. D’autres questions se bousculent dans ma tête. Elle a quel âge? Elle a fait quoi pour se ramasser ici? Elle doit être sacrément dangereuse pour qu’ils se soient donner le mal de la changer de continent… mais peut-être qu’aussi c’est elle qui a déménager avant de se faire emprisonner…

Du Québec, hein ? Je me demande de quoi ça a l’air, là-bas. Mais bon, pour le moment, j’avais autre chose à penser, vu que j’étais un peu en train de me casser la gueule. Sauf que… Pas tout à fait. Quelque chose m’empêchait de m’étaler comme une crêpe sur le sol raide. Alors que cette chose continuait d’accompagner ma chute, je me risquai à y jeter un coup d’œil rapide. Le Canadien. Finalement, je me retrouvai étendue sur le dos, sans bouger, à me demander comment m’excuser. Je me décalai un peu sur le côté, parce qu’un caillou à l’arête aiguë me rentrait dans une omoplate, avant de me relever lentement. D’abord assise, je secouai la tête pour m’ébouriffer les cheveux, comme d’hab’, avant de sauter sur mes pieds.

Un peu embarrassée, je détournais le regard, évitant autant que possible de le regarder, parce que c’était quand même un peu ma faute s’il avait dû me rattraper en catastrophe. Au bout d’un moment toutefois, je me mis en tête de présenter mes excuses, et ouvris la bouche. Un peu tard, ma grande. La prochaine fois, sois plus réactive…

-Ouais, bien… la prochaine fois tu avertiras. Un peu plus et je te manquais…

-Ouais, j’ai merdé. Désolée, et merci aussi de m'avoir rattrapée, marmonnai-je en fuyant toujours son regard. Je suis un peu trop irréfléchie au goût de certains.

-Ça fait longtemps que tu es ici ?

Eeeeuuuh… Là, il me prenait au dépourvu. Longtemps ? Je fronçai les sourcils, un peu perplexe.  Combien de temps avais-je déjà passé ici ? Voyons voir… Je me mis à compter sur mes doigts, parce que c’était puéril, et que j’étais essentiellement une personne puérile. Un, deux… six, sept… Huit mois. Ah bah putain, déjà ?! On pouvait pas dire que le temps me pesait.

-On est en octobre, alors ça fait huit mois, environ. Et toi ? T’es arrivé quand ?

Je commençai à faire les cent pas, c’était relaxant. Toujours l’idée d’un mouvement répétitif pour apaiser un esprit bouillonnant. Non, je ne dis pas que je me sers beaucoup de ma tête, mais disons que… ben elle marche tout le temps, pour penser à des conneries la plupart du temps, et du coup, bah… j’ai besoin de me calmer régulièrement. Un pas, deux pas, trois pas, demi-tour, un, deux, trois, demi-tour… Et puis brutalement, je m’arrêtai et fichai mon regard dans celui du Canadien.

-Au fait, c’est quoi ton nom ?

Je m’autorisai un sourire ; ça faisait longtemps que je n’avais pas pu parler français avec quelqu’un qui le comprenait. C’était toujours marrant, un temps du moins, de dire des trucs que les gardiens ne comprenaient pas, mais bon, ça finissait toujours pas devenir lassant quand soit ils se désintéressaient de ce que je leur disais, soit quand ils m’enfermaient à l’isolement pour insolence. Oui, y’en avait vraiment des comme ça, prêt à punir pour un oui ou pour un non. Heureusement, ils n’étaient pas bien nombreux, et j’avais appris à les reconnaître, pour les éviter. J’aimais pas des masses passer la nuit entre quatre murs étroits, et sans lumière, déjà qu’une cellule c’était pas extra…