Quand on m'avait présenté mon propre bureau, j'avais cru halluciner. Les mêmes vieilles pierres que partout dans le pénitencier, ajouté à un vieux bureau qui avait un sacré vécu ... enfin ... a en juger par les insulte gravée sur le bois. Dans le coin de cette table, un boîtier noir me servait à appeler les gardes, en cas de problème. Pour le moment, il ne m'avait jamais servit.
Deux chaises en plastiques faisaient apparaître une touche de neuf. Même pas d'armoire. Mes dossiers étaient pitoyablement empilés dans les tiroirs que je ne pouvais plus refermer, et mes livres étaient stockés dans un horrible sac de course appuyé contre un mur. Limite, limite. Enfin, j'avais suivit ce que m'avait toujours apprit mon père. Ne jamais me plaindre, et me contenter. Rien de mieux pour entretenir des bons rapports avec ma hiérarchie.

Mais je ne pouvais pas rester travailler dans ces conditions, et j'avais donc réajusté l'endroit à ma convenance, utilisant mon propre budget. Une armoire en bois noir poli, décoré de fleurs de cerisier peintes, contenait maintenant mes dossiers et me livres psy. Une large moquette, qui n'était pas fixée mais seulement posée au sol, recouvrait les pierres grises déprimantes du sol. J'avais remplacé les chaise par des fauteuils de cuir noir, et recouvert le bureau de bois d'un drap rouge. Dans un coin du fond de la salle, un paravent en bambou, devant lequel une table basse était posé au milieu de coussins aux couleurs rouges, roses et noire, aux motifs légèrement suggestifs - on ne se refait pas. Un service à thé complet était posé dessus.

Mais je n'avais toujours pas d'ordinateur.

J'en étais donc revenue à la vieille méthode : prendre les notes à la mains, sur un cahier. J'ouvris d'ailleurs ce dernier à une nouvelle page, sachant que le nouveau détenu devrait passer. Quand je l'avais vu entrer dans la prison, quelque chose m'avait frappé, en-dehors de ses cheveux exceptionnellement roux. Oui, quelque chose dans sa démarche ... je n'aurais pas été capable de dire quoi. Mais je n'avais sentit aucune dangerosité réelle en lui. Pas comme ces psychopathes que je fréquentait habituellement. Deux meurtres, pourtant ... j'avais relégué le dossier au fond de l'armoire, loin, très loin derrière les autres.

Ça ne voulait rien dire, un dossier. C'était juste un papier avec des mots dessus. En tant que psychologue, et surtout en tant que curieuse, je voulais savoir ... connaître la partie inondée de l'iceberg. Parce que quelque chose ne collait pas, pas du tout. McDaven m'avait conseillé la prudence, et je n'avais aucune intention de l'écouter. Il y avait quelque chose de trop louche. Un procès sans avocats. Du copinage ?

Peut-être le saurais-je, peut-être pas. Quoiqu'il en soit, à présent que Winchester était accueillit, je décidais de me mettre à l'aise. Fouillant dans un tiroir, j'en extirpais une pince avec laquelle j'attachais mes cheveux. Puis j'ôtais ma blouse, me sentant horriblement à l'étroit à l'intérieur de celle-ci. Avec elle, j'avais toujours l'impression de n'être rien qu'une psy, plutôt qu'une personne à part entière. Bien sûr, cela me protégeais mieux que le décolleté bleu et la jupe noire que je portais en-dessous, mais j'étais convaincue que la personne que je verrais bientôt n'avait rien de dangereux.
Je déposais ladite blouse sur le dossier mon fauteuil, puis m'asseyais en ouvrant le cahier devant moi. Quand soudain ...
Par terre, les quatre fers en l'air.


Ce n'était pas la première fois que ça arrivais. La porte était épaisse, et les prisonniers ne toquaient pas assez fort. Ils s'appuyaient donc sur la porte, en attendant, imaginant qu'il n'y avait personne. Sauf que ma porte était toujours ouverte, et que le sol n'était pas loin.

Esquissant un sourire, une pointe d'amusement dans les yeux, je me dirigeais vers le détenu, tendant vers lui une main aux ongles soigneusement manucurés.

"Kyle Winchester, je suppose ? Appelez-moi Ayame."

Sans perdre mon sourire, je désignais le fauteuil devant mon bureau d'un léger signe de tête. une invitation muette à s'asseoir.

Quand j'étais tombé sur le c** dans ce bureau, j'avais cru qu'il n'y avait personne. A vrai dire, mon regard avait été attiré un peu partout en même temps. L'armoire massive de cerisier, les fauteuils en cuir, la table basse entourée de coussins colorés, le bureau recouvert d'une nappe rouge grenat... Jusqu'au moment où, la tête à l'envers, je remarquai la jeune femme qui me tendait la main, à quelques centimètres de moi.

"Kyle Winchester, je suppose ? Appelez-moi Ayame."

Je me redressai d'un bond, en alerte. Sans la quitter des yeux, je refermai la porte derrière moi et la détaillai.

C'était la femme que j'avais vue un peu plus tôt, qui m'observait près de la grille. Sous sa blouse je ne l'avais pas remarqué, mais elle avait des formes suffisament prononcées pour que mon regard s'y attarde quelques secondes, avant de revenir vers ses étranges yeux violets.
Elle attrapa un bloc-notes et un crayon sur son bureau, et prit place dans le second fauteuil. Sa façon de bouger me rappelait quelqu'un. J'eus un étrange frisson.

Je m'assis dans le fauteuil face à elle, manquant de m'y enfoncer tellement il était moelleux. Toujours sans me quitter des yeux, la jeune femme prit la parole la première :[/i]

"Je ne vais pas vous manger, vous savez."

Elle sourit doucement. Je ressentis le même frisson. Etait-ce possible que...?

"Je suis Ayame Shizuka. Je serai votre psychologue ici. J'ai lu votre dossier. Il est écrit que vous avez tué deux personnes. Est-ce vrai?"

Je hochai simplement la tête. La dernière fois que j'avais prononcé un mot, c'était au procès. Pour dire "Coupable". Cela remontait à plus de trois mois.
La psy semblait sonder mon esprit en me fixant dans les yeux. Je m'efforçai de soutenir son regard, déconcentré par ses formes généreuses qui voulaient s'échapper de son décolleté.

Effectivement ... le dernier psy l'ayant examiné l'avait qualifié de taciturne, et ce n'était pas peu dire.
Je me demandais même si j'aurais le privilège d'entendre sa voix. C'est sans doute ce qui me poussa à être un peu plus ... brusque que d'ordinaire.
Aussi, j'allais m'asseoir sur l'un des fauteuil de la pièce, croisant les jambes avec désinvolture. Autant dire que ma jupe ne cachait pas grand-chose, mais cela, c'était habituel.

"Je ne vais pas vous manger, vous savez."

Cette phrase, pour moi, était anodine. En fait, je la sortais à tous ceux qui semblaient hésitants ou réticents, à l'idée de me parler. Et, comme j'aurais dû m'y attendre ... pas de réponse. je souris légèrement, renflouant la légère frustration qui s’emparait de moi. Si les patients n'aimaient généralement pas les conversations unilatérales, moi non plus. Enfin ... ma patience légendaire, héritée de mon père, m'avait permit de supporter bien des choses, et ce n'était pas un silence prolongé qui allait me déranger. Néanmoins, envie d'en savoir plus oblige, j'attaquais dans le vif du sujet. La question qui me perturbais, lui laissant à peine le temps de s'asseoir.

"Je suis Ayame Shizuka. Je serai votre psychologue ici. J'ai lu votre dossier. Il est écrit que vous avez tué deux personnes. Est-ce vrai?"

Oh, joliment dis. Je regrettais immédiatement ma brusquerie ... en même temps, sa présence ne m'aidais pas. Ses cheveux rouges. Je lâchais un soupir silencieux. Il comprenait sans doute, lui. Mes yeux passaient à eu près aussi inaperçus que ses cheveux. J'imaginais aisément les moqueries, et si de mon côté elles ne m'avaient pas affectée, peut-être qu'il n'en était pas de même pour lui.
Et s'il n'y avait eu que ça ... Beau garçon, pour tout dire. Quelque chose de froid se détachait de lui, mais de terriblement... Pas attirant dans mon sens habituel - et purement sexuel - du terme. mais fascinant, intriguant et d'une certaine manière ... oui, attirant.
Je le fixais longuement. Il avait hoché la tête, sans un mot, encore. D'après ce que j'avais cru comprendre, il n'avait même pas tenté de se défendre au procès. Alors quoi ? Pour avoir une résignation pareille, il avait dû traverser des épreuves que je ne pouvais soupçonner.
Et les cicatrices, sous ses yeux, attirèrent réellement mon attention, comme devenue clignotantes. J'aurais voulu les effleurer, pour vérifier ... ou simplement pour savoir si je pouvais éventuellement tenter un rapprochement ... mais ôtait rapidement cette idée de mon esprit, me mordant légèrement la lèvre inférieure pour me ramener sur terre. Sensuelle, la manière d’exécuter ce geste ? Sans aucun doute, mais il s'agissait plus d'une habitude.
Décidant que le silence durait depuis assez longtemps, je me résolu à signaler :

"J'ai très, très malencontreusement perdu votre dossier après l'avoir lu." Ayame, tu es mauvaise comédienne. "Et de ce fait, je n'ai plus aucune information formelle consignant ce qu'il est sensé s'être passé pour que vous arriviez ici."

Une façon élaborée de dire "je ne crois pas une seconde que vous ayez tué ses gens par envie de meurtre". Posant le carnet et le stylo sur mes cuisses, je baissais légèrement les yeux un instant. C'était la première fois qu'un dossier ne m'importais pas. Et ça parce que, quand j'y réfléchissais bien, ce n'était pas réellement son dossier qui m’intéressait. C'était lui. Bon sang, Ayame, qu'est-ce que tu as ?
Je pris une inspiration qui se voulait discrète, poursuivant en essayant de déchiffrer son regard :

"Vous n'êtes pas comme la plupart des meurtriers qui courent dans cette prison, ça, j'en ai l'intime conviction. Ce n'est sûrement pas par désir de meurtre que vous avez tué ... et vous n'avez même pas eu droit à un avocat, ce qui est une violation de vos droits fondamentaux."

Décidant que je n'en aurais pas besoin, je tendis le bras pour reposer mon bloc-note sur le bureau. Étrangement, j'avais la certitude que je me souviendrais de ce qu'il dirait ... s'il ouvrait la bouche. Puis, je posais les mains sur mes jambes, paume ouvertes ... un signe d'ordinaire inconscient, qui signifiait l'ouverture d'esprit. Mais je l'avais placé là consciemment, une façon discrète de l'inciter à parler.

"Je me demande ce qui a pu vous valoir cet oubli ? Peut-être le désir de vous inculper rapidement, ou bien ..." Non, tais-toi, rien ne te permets de le supposer. Je me repris de justesse. "Ce que je veux dire, monsieur, Winchester, c'est que de toute manière, rien de ce que vous direz ne sortira de ce bureau. Vous pouvez donc parler librement. Enfin ... si vous me faites le plaisir de me faire entendre votre voix."

une affaire étrange, un détenu qui m'intriguais plus que je ne voulais bien l'admettre ... Ayame, dans quel pétrin t'es-tu encore fourrée ?

La psy voulait vraiment me faire parler. En observant ses manières, sa façon de placer ses mains sur ses jambes, sa jupe trop courte et son décolleté trop ouvert, je me demandai comment elle avait fait pour survivre parmi cette horde de psychopathes et de tueurs.

"Vous pouvez donc parler librement. Enfin ... si vous me faites le plaisir de me faire entendre votre voix."

Pourquoi je n'avais pas eu d'avocat ? Pourquoi mon procès avait été rapide et expédié ? Cette psy devait avoir tellement l'habitude des affaires compliquées, des menteurs et des fous furieux qu'elle devait en oublier la seule raison vraie de faire quelque chose de ce genre. En détaillant la nuance de violet de ses yeux, je commençai à raconter.

"Je n'ai pas eu d'avocat parce que je n'en ai pas demandé. Mon procès a été rapide car j'ai reconnu les faits. J'ai tué ma mère et son conjoint à l'âge de seize ans. J'ai plaidé coupable."

Ma voix était un peu enrouée, son timbre plus grave que d'ordinaire m'étonna un peu. En même temps, après plusieurs mois de silence, ce n'était pas bizarre.

Etrangement, je vis une lueur s'allumer dans les yeux d'Ayame. Une lueur d'intérêt. Mon histoire était pourtant banale. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien vouloir ?

Qu'est-ce que je pouvais vouloir ? Oui, la question se posais.
Au moins, j'avais réussi à obtenir un mot de sa part. Je m'installais plus confortablement dans le fauteuil, cherchant à comprendre. Je ne cherchais pas à savoir s'il avait réellement tué ses parents, ça non. Avec tous les psychopathes que je voyais chaque jour, plus rien ne m'étonnais.
Mes yeux revinrent se poser sur ses cicatrices. Non, j'aurais aimé savoir pourquoi, simplement. Qu'est-ce qui peut pousser une personne sans aucune envie meurtrière à franchir le pas ?
Je baissais les yeux sur mes mains, étouffant un soupir. Le premier entretien était sensé définir si, oui ou non, le détenu avait besoin d'un suivi ou de précautions particulières. Je m'apprêtais à poser une autre question, et la renflouais.
Visiblement, il n'était pas disposé à parler. Et moi, je m'étais éloignée de mon but premier.

"Monsieur Winchester, je ne pense pas que vous soyez fou. Hormis le fait que vous soyez assez ... froid et muet, il n'y a rien à signaler."

Je me relevais, me dirigeant vers mon bureau. J'avais une autre admission en prendre en compte aujourd'hui ... vraiment fou, celui-ci, d'après son dossier. J'enfilais donc ma blouse, retrouvant un semblant de protection.

"Vous pouvez disposer ... et si vous voulez me revoir, ma porte est toujours ouverte."

Détachant mes cheveux, j'esquissais un dernier sourire.

"Ce que j'aimerais savoir c'est ce qui vous a poussé jusqu'ici. Et je vous signale que vous allez probablement avoir un nouveau camarade de cellule. Réellement fou, celui-ci."

Je l'observais encore un instant. Il y avait quelque chose dans ses yeux. Tristesse, regrets ? Ou autre chose ...

"Faites attention à vous, Kyle."

Lorsque Ayame m'informa que notre entretien était terminé, je ressentis un étrange vide. Comme... un sentiment de frustration. J'aurais voulu qu'elle me pose plus de questions, qu'elle cherche à en savoir plus. Non pas que ça me fasse plaisir de parler de cette histoire, mais... Sa voix avait quelque chose d'envoûtant, presque d'hypnotisant.

Elle enfila sa blouse. Ce geste anodin capta toute mon attention, tellement il me parut irréel. Cette femme... elle avait les mêmes manières que Joy. Ce regard perçant qui vous lit dans l'âme, cette fausse pudeur sensée les protéger des regards, et ce sourire...

Voyant que je ne bougeais pas, elle ajouta :

"Vous pouvez disposer ... et si vous voulez me revoir, ma porte est toujours ouverte."

Etrange sensation que je ressentis à cet instant. Ce "vous pouvez disposer" froid et lointain, me rappelant ma condition de prisonnier et de criminel, livré au bon vouloir du personnel de cet établissement. Je me promis de revenir dans ce bureau dès que je le pourrai.

Je me levai. Elle m'informa que j'allais avoir un compagnon de cellule, fraîchement débarqué comme moi. Et complètement fou. Je hochai la tête, et tentai une dernière fois de déchiffrer son regard violet. Alors que je me tournai vers la porte pour sortir, elle lança :

"Faites attention à vous, Kyle."

Je me tournai vers elle, et mes lèvres s'étirèrent en un sourire. Cette Ayame me faisait bizarrement chaud au coeur. Comme une sorte d'accalmie au milieu de la tempête. Je hochai la tête, et lui répondis :

"J'essaierai. Merci beaucoup, Ayame. A bientôt."

Je fermai la porte derrière moi, espérant qu'elle n'avait pas entendu l'infime tremblement dans ma voix lorsque j'avais prononcé son nom.
Mon sourire s'estompa rapidement. Il était bientôt 15h, je me rendis donc à la salle de musculation en compagnie d'autres "nouveaux" qui n'avaient pas l'air si nouveaux que ça. Un gardien me colla un débardeur et un short gris entre les bras, et m'envoya au vestiaire.

Trois heures plus tard, c'est exténué et en sueur que je sortis de cette salle de sport. Trois heures de torture, trois heures de plaisir pour les entraineurs qui nous poussaient jusqu'à nos plus extrêmes retranchements. Trois heures à tester nos limites musculaires, jusqu'à nous faire crier de douleur. Trois heures durant lesquelles je n'ai plus réussi à penser à rien d'autre qu'aux grands yeux violets d'Ayame...

Je me dirigeai vers ma cellule après la douche. Chaque muscle de mon corps me faisait souffrir le martyre, et ma cicatrice sur le torse pulsait douloureusement.

Lorsque j'arrivai devant la grille, je vis qu'on avait échangé le misérable petit lit de camp contre un gros lit superposé. Cool, au moins on dormira mieux tous les deux. Enfin, j'espère...